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AES : comment s’opérera la libre circulation des personnes et des biens en dehors de l’espace Uemoa ? (Entretien)

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Ouestafnews – (en collaboration avec Wadr) – Les pays de l’Alliance des Etats du Sahel ont officiellement quitté la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) le 29 janvier 2025. Ce qui marque aussi l’entrée en vigueur du passeport des Etats membres de l’AES. Dans cet entretien avec nos confrères de West Africa Democracy Radio (Wadr), l’avocat et conseiller spécial à l’Open Society Foundation-Africa, Ibrahima Kane revient sur les implications de cette décision pour la libre circulation des personnes et des biens, ainsi que sur les défis à venir pour le Mali, le Burkina Faso, le Niger ainsi que la Cedeao.

Question – Le mercredi 29 janvier 2025 marque l’entrée en vigueur du passeport des pays membres de l’AES. Comment analysez-vous la création de ce passeport ?

Ibrahima Kane – Dans toute communauté humaine, des États peuvent décider de travailler ensemble pour régler des problèmes particuliers. Les communautés économiques et régionales africaines ont été conçues dans cette perspective. Parfois à l’intérieur des communautés économiques régionales, il y a des stratégies ou des règles qui peuvent permettre à un groupe de pays, à l’intérieur d’une communauté, de pouvoir s’entendre sur un certain nombre de règles. La communauté économique des États de l’Afrique de l’Est a cette disposition qu’on appelle la règle de la géométrie variable, qui permet à deux ou trois pays de la même communauté de s’entendre sur un point particulier. Donc, ça peut se faire dans toute communauté. 

Dans le cas précis de l’AES qui nous concerne maintenant, c’est que ces trois pays l’ont fait en quittant la Cedeao et en même temps s’organiser pour mettre en place des règles de libre circulation des personnes entre les trois pays. C’est tout à fait normal.

Q- Les autorités des pays membres de l’AES rassurent que le passeport de la Cedeao restent valables jusqu’à expiration. N’est-ce pas là un paradoxe puisque les trois pays ne sont plus membres de la Cedeao ?

I. K – Pas tout à fait, parce qu’un des enjeux de cette séparation, c’est l’avenir de la libre circulation qui a été instaurée par la Cedeao depuis 1978. Et dans ce cas, les ressortissants de ces pays-là ont quand même des craintes à avoir parce que si vous prenez le cas du Mali et du Niger, une bonne partie de la diaspora malienne et nigérienne se trouve au Nigeria. Vous avez une bonne partie aussi de la diaspora burkinabè qui se trouve au Ghana.

Et le Nigeria et le Ghana ne sont pas des pays membres de l‘Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) qui a des règles qui permettent la libre circulation entre leurs ressortissants et les ressortissants des cinq autres membres de l’Uemoa. Mais pour le reste des pays de la Cedeao, ce n’est pas le cas. Avant même que les discussions aient été engagées avec la Cedeao, ils ont vite fait de dire aux membres de la Cedeao, ne vous en faites pas, pour nous, malgré notre sortie, les règles de libre circulation continuent de s’appliquer.

Alors c’est une bonne chose, d’abord parce qu’au moins, ils voient qu’au-delà de la séparation, il y a des liens forts qui unissent les peuples de cette région et que cette séparation ne doit pas contribuer à les désunir. Ça, c’est une bonne chose.

Q – Y a-t-il des risques quant à la circulation des personnes et des biens ?

I.K – Au sein de la Cedeao, vous savez qu’il y a plusieurs entités. Tous les pays membres de l’Uemoa sont des pays membres de la Cedeao. Au sein de l’Uemoa, il y a le principe de la libre circulation des personnes et des biens.

C’est d’abord une union économique avant d’être une union politique. La libre circulation des personnes et des biens existe déjà. Pour ce qui concerne ces trois pays, tant qu’ils circuleront au sein de l’Uemoa, il n’y aura pas de problème.

Mais les questions vont commencer à se poser lorsqu’ils vont maintenant décider de circuler dans des pays comme le Libéria, la Sierra Leone, le Ghana ou le Nigeria. Par exemple, pour prendre le cas du Niger, l’essentiel de l’activité économique du Niger, se passe avec le Nigeria. Mais là, il faut attendre de voir comment la séparation va se faire et il sera possible d’apprécier sur la base de ces éléments de séparation.

Ce que je sais, c’est que les États de la Cedeao, au mois de décembre dernier, avaient eux-mêmes décidé de prolonger encore de six mois l’application des règles. Ce qui veut dire que dans les six mois à venir, il n’y aura pas de problème. Tous les passeports seront acceptés.

Mais maintenant, au-delà des six mois, tout dépendra des règles concernant la sortie officielle des pays de l’AES de la Cedeao. Et comme on ne sait pas encore quelles sont ces règles, on ne peut pas spéculer sur ce point particulier.

Q – La Cedeao annonce que la sortie des trois pays de l’AES est officielle. Mais l’organisation sous-régionale demande à ses États membres de reconnaître jusqu’à nouvel ordre les passeports des pays membres de l’AES. Est-ce que cela veut-t-il dire que le processus de sortie est difficile ?

I.K – C’est intéressant que vous posiez cette question parce que votre curseur est sur les manifestations dans les villes. Depuis samedi (25 janvier 2025, NDLR), les diasporas malienne, burkinabè et nigérienne en Côte d’Ivoire et, je pense, au Ghana, ont décidé d’aller rencontrer les leaders pour leur parler. Elles sont actuellement au Mali et vont aller au Burkina Faso puis au Niger.

C’est vous dire que les avis sont partagés. Parce que les ressortissants de ces pays qui sont dans la diaspora ont des préoccupations. Ils vivent la réalité des questions de libre circulation des personnes.

Cependant, ceux qui sont au pays ne connaissent pas vraiment ces problèmes. Ce qui fait que leur soutien aux autorités est un soutien plus ou moins formel.

En allant voir les autorités, ils vont discuter de questions sérieuses. Ils vont leur demander de s’intéresser, au-delà de la simple libre circulation des personnes, à comment organiser les règles concernant le transfert d’argent. Il y a beaucoup de questions qui vont se poser après et dont les autorités devraient prendre conscience de leur importance.

Propos recueillis par Moustapha Diakhité (WADR), retranscription Ouestaf News.


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