Ouestafnews – Le ministre togolais des Affaires étrangères Robert Dussey n’écarte pas l’adhésion de son pays à l’Alliance des Etats du Sahel (AES), alors qu’il est déjà membre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Lomé y voit un moyen de soutenir la souveraineté des pays africains. Cependant, la démarche peut susciter des interrogations au vu des rapports entre l’AES et la Cedeao.
« Ce n’est pas impossible ». C’est la réponse de Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et des Togolais de l’Extérieur, à une question sur une adhésion éventuelle de son pays à la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), composée du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Robert Dussey, qui s’exprimait lors d’un entretien diffusé le 16 janvier 2025 sur la chaine Voxafrica, a renvoyé l’effectivité d’une telle décision aux prérogatives des institutions du pays. Si le parlement togolais venait à approuver une telle adhésion, « pourquoi le Togo ne le ferait-il pas ? », a-t-il ajouté.
Au regard de cette prise de position, une question s’impose : comment le Togo, membre de la Cedeao, pourrait-il adhérer à l’AES dans un contexte marqué par la rupture entre le grand bloc sous-régional et la nouvelle alliance formée par les trois pays « sahéliens » ?
« C’est une éventualité juridique très réalisable », soutient, dans un entretien accordé à Ouestaf News, Morgan Assogba Metondji, consultant en géopolitique et auteur du livre « Faire de la Cedeao, la Cedeao des peuples ». Selon lui, aucune disposition juridique ne peut interdire cette double appartenance à la Cedeao et à l’AES.
L’Alliance des Etats du Sahel, née des tensions avec la Cedeao après des coups d’Etat militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a été créée le 16 septembre 2023. Elle est devenue une confédération le 6 juillet 2024.
Le retrait des trois pays sahéliens de la Cedeao est officiellement acté le 29 janvier 2025. Malgré la transition de six mois décidée au sommet d’Abuja le 15 décembre 2024, Bamako, Ouagadougou et Niamey ont imposé un départ immédiat, rendant ainsi caduque la médiation des présidents sénégalais, Bassirou Diomaye Faye et togolais, Faure Gnassingbè.
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Pour l’économiste malien Modibo Mao Macalou, joint par Ouestaf News, une intégration du Togo à l’AES « va permettre aux pays membres de la confédération, qui sont pour le moment tous des régimes de transition » dirigés par des militaires, d’avoir un pays dirigé par un civil élu au sein de l’Alliance.
En rejoignant cette confédération, le Togo apporterait « une nouvelle dynamique à l’alliance », tout en renforçant sa portée régionale en termes de superficie, précise M. Macalou.
Pour le consultant en géopolitique Morgan Assogba Metondji, « cette idée de vouloir rejoindre l’AES s’inscrit dans la dynamique de la médiation du Togo ». Cette démarche pourrait renforcer le Togo dans son rôle d’intermédiaire : « la meilleure façon d’installer un climat de crédibilité dans toute technique de négociation de médiation, c’est de chercher à montrer à son vis-à-vis qu’on a une même vision ».
Assogba Metondji juge « intéressante » cette « double appartenance », mais considère qu’elle peut être « dangereuse ».
L’adhésion du Togo à l’AES serait, par ailleurs, une opportunité économique pour la confédération, analyse le magazine Jeune Afrique.
En tant que pays côtier doté du port de Lomé, le Togo pourrait devenir une porte d’accès à la mer pour les pays de l’AES, tous enclavés, estime Modibo Mao Macalou. A ce titre, il relève que l’activisme des autorités togolaises « n’est pas sans arrière-pensée économique ».
Cependant, il rappelle que le Togo n’a de frontières terrestres qu’avec le Burkina Faso, ce qui limite son accès direct aux deux autres membres de l’AES, le Niger et le Mali. « Les distances seront non négligeables », précise-t-il, pour mieux souligner les défis logistiques qui vont se poser.
En termes d’échanges internationaux, les ports de Dakar (Sénégal), d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et de Tema (Ghana) assuraient la majorité des échanges commerciaux des pays de l’AES, avec le reste du monde, avant les sanctions de la Cedeao, levées depuis début 2024.
Pour le Niger, le port de Cotonou (Bénin) était la principale porte de sortie avant la fermeture de la frontière entre les deux pays. D’où la décision de Niamey de se tourner vers Lomé pour ses exportations.
« Le port de Lomé peut être une solution à moyen et long terme » pour tous les pays de l’AES, et ce malgré « le surcoût que peut engendrer son utilisation », assure Modibo Mao Macalou. C’est « le poumon de l’économie togolaise ».
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Selon le dernier classement de la Lloyd’s List des ports les plus performants en 2024, en termes de trafic de conteneurs, Lomé occupe le 5ᵉ rang en Afrique et est classé premier de toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Sur un autre plan, l’intégration éventuelle du Togo à la Confédération de l’AES doit aussi être analysée à la lumière de ses appartenances économiques et monétaires, estime M. Macalou. Ce pays est membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), tout comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso. A travers cette Union, huit pays ouest africains partagent une monnaie commune, le franc CFA, utilisée dans leurs transactions économiques et financières.
Cependant, l’avenir du franc CFA est incertain, avec la perspective du lancement de la monnaie unique Eco par la Cedeao, prévu pour 2027. La création de cette monnaie, maintes fois annoncée, a été jusque-là toujours reportée.
« Si cela advenait, évidemment, le franc CFA de l’Afrique de l’Ouest va disparaître, tout comme les monnaies nationales des sept autres pays de la Cedeao, pour laisser la place à l’Eco », souligne-t-il.
Sur le plan politique, dans son entretien télévisé, Robert Dussey s’est dit « contre l’alignement », qu’il juge dépourvu de sens. Il a plaidé pour un soutien du continent aux pays africains qui cherchent à « se prendre en charge » sur la base d’un principe ainsi édicté : « nous ne sommes contre personne, nous voulons être nous-mêmes ».
En cela, le diplomate togolais semble pointer du doigt des pays occidentaux, notamment la France, dont les relations avec les trois Etats membres de l’AES se sont détériorées. L’armée française a été contrainte de quitter ces pays, laissant les régimes en place sceller des partenariats avec la Russie, à travers notamment le groupe paramilitaire Wagner rebaptisé « Africa Corps » par Moscou.
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Pour Robert Dussey, « quand on a la chance d’avoir des pays qui veulent se prendre en charge, il faut les soutenir ».
Le Togo étant membre de la Cedeao et l’AES étant composée de nations « dissidentes », l’idée d’une adhésion à l’AES pourrait être mal accueillie au sein de l’organisation sous régionale qui pourrait être encore plus affaiblie. Cependant, si on se fie aux propos du ministre togolais des Affaires étrangères, ses compatriotes ne seraient pas opposés à une telle adhésion.
« Demandez aux populations togolaises si le Togo veut entrer dans l’AES, elles vous diront à plus de 70 % oui », a-t-il lancé au journaliste.
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