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Militaires au pouvoir en Afrique de l’ouest : vrais problèmes, fausses solutions

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Ouestafnews – L’Afrique de l’Ouest francophone est le théâtre d’une cascade de coups d’Etat militaires depuis 2021. Des putschs – et parfois contre putschs ou coups d’Etat dans le coup d’Etat – que les auteurs justifient par l’échec des civils au pouvoir.

Les putschs vont persister en Afrique de l’ouest « tant que nous n’aurons pas de systèmes de gouvernance vertueux ». C’est la conviction du Dr Aliou Barry consultant et analyste politique guinéen, pour qui l’échec des civils dans la gestion des affaires publiques constitue la principale cause de la prise du pouvoir par des militaires dans la sous-région.

Dans son pays, la Guinée, les militaires ont pris le pouvoir en septembre 2021, officiellement en réaction au forcing opéré par l’ex-président Alpha Condé,  « qui avait fait modifier la constitution » pour obtenir un 3e mandat qu’il n’a pu mener à son terme.

C’est donc « l’échec des politiques publiques qui pousse les militaires à penser qu’ils sont la solution », souligne Dr Barry.

Le Burkinabè, Augustin Loada, professeur agrégé de droit et de science politique à Ouagadougou, quant à lui, pointe du doigt des problèmes liés « à la corruption et à la néo-patrimonialité » sur lesquels les pouvoirs civils ferment les yeux.

Le professeur Loada, pour qui il y a « une nécessité de construire une véritable nation pour ces pays », déplore aussi  « les clivages ethniques » qui affectent la manière dont les Etats ouest africains sont gérés.

Même si les spécialistes des conflits avancent que ces derniers ont essentiellement pour véritable cause le « contrôle du pouvoir et de la richesse », les « clivages ethniques » évoqués par Pr Loada, restent un argument récurrent avancé par des analystes dans les débats sur la gouvernance en Afrique.

Dr Barry, considère ce fait comme une tare à corriger puisque « les civils qui viennent au pouvoir essaient de surfer sur les relents communautaires, utilisent la fibre ethnique pour accéder et rester au pouvoir ». 

Dr Barry et Pr Loada s’exprimaient tous les deux lors d’un débat public en ligne, le Forum Ouestaf, organisé le 30 novembre 2022 par Ouestaf News sur le thème : « Les militaires au pouvoir : le salut ou le chaos ? »

Ce débat fait suite à la succession de coups d’Etat observés en Afrique de l’Ouest. Des putschs militaires qui remettent en cause des processus démocratiques que l’on croyait acquis au cours des deux à trois décennies précédentes.  

Le 24 mai 2021, l’armée malienne, sous la houlette du colonel Assimi Goïta, s’est emparée du pouvoir en destituant le président élu en 2018, Ibrahim Boubacar Kéita (IBK). Le président Kéita et son régime déchu faisaient face à une vague de contestations de la société civile et de partis politiques regroupés au sein du Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP). En plus de l’insécurité grandissante dans le nord du pays, le M5-RFP dénonçait « la mal gouvernance » du régime d’IBK.

Le 5 septembre 2021, une junte militaire sous la direction du Colonel Mamadi Doumbouya a évincé le président Alpha Condé en Guinée. Ce dernier avait obtenu un troisième mandat, en fin octobre 2020, après avoir modifié des dispositions de la constitution pour pouvoir se représenter à l’élection présidentielle.  Or la constitution guinéenne limitait le nombre de mandats à deux. Les manifestations de la société civile et des partis politiques contre la modification du mandat présidentiel avaient fait plusieurs morts.

« La situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, la gabegie financière […] ont amené l’armée républicaine à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple de Guinée », justifiait le lieutenant-colonel, Mamady Doumbouya, chef du groupement des forces spéciales, cité par l’Agence France presse.

Le Comité national du Rassemblement pour le Développement (CNRD) qui a porté le colonel Mamadi Doumbouya au pouvoir avait ainsi promis de « réconcilier les Guinéens » et de leur donner des institutions fortes.

Un même scénario avait été vécu au Burkina Faso, où le 24 janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré a été démis de force de son pouvoir par la colonel Paul- Henri Sandaogo Damiba. Ce dernier accusait M. Kaboré, entre autres, d’avoir été incapable d’assurer la sécurité des Burkinabè face aux exactions des groupes terroristes.

Pour les mêmes raisons, le colonel Damiba sera destitué à son tour par son frère d’arme, le capitaine Ibrahim Traoré, huit mois après, le 30 septembre 2022. 

Tous les auteurs de ces renversements de pouvoir justifient leur action par le souci de mieux gérer l’Etat ainsi que les biens publics, et de se mettre au service des populations dans des pays en proie en de multiples crises.

« Que ce soit au Mali ou au Burkina (…), l’arrivée des militaires était la solution », soutient le porte-parole du Collectif pour la défense des militaires au pouvoir au Mali, Mahamad Oumar Dembélé. Fervent défenseur du régime militaire actuellement au pouvoir au Mali, M. Dembélé fait partie de ces Africains qui estiment que les civils ont échoué et que la solution aux maux du continent reste aux mains des militaires.

Curieusement, au Mali, comme en Guinée et au Burkina, les coups d’Etats militaires ne sont pas une première. Des militaires y ont bel et bien exercé le pouvoir par le passé, sans grand résultat. Hormis, pour le Burkina, la brève parenthèse Thomas Sankara (1983-1987). Ce dernier qui avait réussi à transformer radicalement la société burkinabè. Et pourtant lui-même fut victime d’un coup d’Etat.

Pour les partisans des putschs militaires comme M. Dembelé du Mali, ce sont surtout les turpitudes des pouvoirs civils, parfois démocratiquement élus, qui installent l’instabilité, favorisant ainsi l’irruption des militaires dans le jeu politique.

 « Je préfère un coup d’Etat militaire à un coup d’état constitutionnel », lance M. Dembélé qui a également participé au débat en ligne d’Ouestaf News.  Il ajoute qu’« en l’absence d’institutions fortes et face aux manœuvres des dirigeants à se maintenir au pouvoir »  l’intervention des militaires est « salutaire » pour « éviter un bain de sang ».

« Coup d’Etat civil » est un terme utilisé dans la sous-région, en référence aux multiples tentatives et différents subterfuges observés dans différents pays où, au moment prévu de leur départ du pouvoir, les chefs d’Etat cherchent par tous les moyens à y rester.

En 2020, le président Alassane Ouattara s’était présenté candidat à un troisième mandat fortement contesté par l’opposition ivoirienne qui l’estime contraire à la constitution.

Au Sénégal, un débat vif agite la classe politique, sur la possibilité ou non du président Macky Sall de briguer un 3è mandat.  

Les coups d’Etat sont les « conséquences de dysfonctionnements graves », selon le directeur du Think-thank, Afrika Jom Center, Alioune Tine  qui répondait à RFI  le 15 septembre 2021 après le coup d’Etat en Guinée. Pour M. Tine, les coups d‘État arrivent comme « une espèce de thérapie mais c’est une fausse thérapie ».

Peu importe les raisons invoquées, le Pr Loada reste convaincu que les manquements et défaillances dans la gestion du pouvoir ne devraient pas justifier l’ingérence des militaires dans la vie politique, car « il n’y a aucun pays au monde où le peuple est satisfait de ses gouvernants à 100 %. Les militaires ne sont pas plus vertueux que les civils ».

JMG-ON/fd/ts


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