Ouestafnews – Les députés sénégalais ont approuvé, le 18 septembre 2025, l’instauration de taxes sur certaines transactions financières via le mobile money. Ces taxes font partie de plusieurs autres introduites via une réforme du Code des impôts en vue, selon les autorités, de financer le redressement de l’économie. Depuis l’annonce de la nouvelle taxe, des spécialistes, acteurs et usagers des transactions par mobile n’ont cessé d’exprimer leurs inquiétudes face à ses potentiels effets négatifs dans un secteur encore jugé vulnérable.
Le nouveau prélèvement de 0,5 % pour les consommateurs et 1,5 % pour les commerçants concerne les transferts d’argent réalisés via le mobile money, très utilisé par les Sénégalais. Les taxes s’appliquent aussi sur les paiements reçus par le titulaire d’un code marchand (moyen de paiement mobile), précise le projet de loi consulté par Ouestaf News.
L’évocation de ce sujet par un reporter d’Ouestaf News a suscité un vif débat devant une cantine de vente de café et d’autres boissons chaudes sur les 2 voix de Liberté 6, un quartier non loin du centre de Dakar. Même si la loi prévoit plusieurs « exonérations », la nouvelle taxe ne convient pas à Fallou Ndiaye, un des clients devant la cantine.
Cette taxation sera « lourde » et « nuisible » aux Sénégalais, s’emporte M. Ndiaye, la quarantaine, habillé dans un patchwork de fabrication locale.
Même si elle est décriée, la taxe ne concerne pas toutes les opérations sur les transactions électroniques. Il n’empêche que pour certains consommateurs, le gouvernement fait preuve d’un « manque de compassion » envers les citoyens qui souffrent de la morosité économique. Tous les Sénégalais ne sont pas de cet avis.
Assane Ngom, le gérant de la cantine, n’a d’ailleurs pas tardé à répliquer. Il dit « accepter » l’instauration de cette nouvelle taxe même si elle pourrait impacter ses bénéfices. Le vendeur de café affiche au-devant de sa cantine un code QR. Ce dernier lui permet de recevoir ses paiements en mode électronique. Pour lui, les citoyens « n’ont pas le choix » et doivent accepter de contribuer afin d’aider les autorités à faire face aux défis actuels.
Face à la conjoncture difficile que traverse le Sénégal, le pouvoir a initié un Plan de Redressement économique et social (Pres). Dans le cadre de ce plan, présenté par le Premier ministre Ousmane Sonko, le 1er aout 2025, l’Etat sénégalais espère mobiliser plus de 5.000 milliards de FCFA sur la période 2025–2028, en misant essentiellement sur les ressources internes.
A côté de mesures comme la taxation des jeux de hasard, la hausse des prélèvements sur le tabac et l’alcool, la taxe sur le mobile money devrait aider l’Etat sénégalais à faire face à ses difficultés financières. Le pays a vu sa note souveraine se dégrader et son programme d’aide avec le Fonds monétaire international (FMI) suspendu, après les révélations sur une « dette cachée » sous le régime de l’ex-président Macky Sall. Les partisans de ce dernier ont vigoureusement récusé ces accusations de « dette cachée ».
Alors que ces nouvelles taxes pourraient impacter leurs maigres chiffres d’affaires, vendeurs à la sauvette et petits commerçants dans les rues de Dakar, qui utilisent de plus en plus le mobile money, s’illustrent par leur ignorance de ce qui se jouait à l’Assemblée nationale.
« Ce n’est pas normal », a simplement répondu Amy Faye, qui tient un petit commerce où elle sert le petit-déjeuner aux riverains et aux passants. Pour cette jeune femme, qui utilise aussi un code marchand pour se faire payer, c’est encore « l’incertitude » sur les potentielles conséquences de ces prélèvements sur ses activités.
Face à ce nouveau dispositif fiscal, le Cadre permanent de concertation des prestataires des services de transfert d’argent avait exprimé, avant le vote, ses « vives préoccupations » et invité les autorités à « réexaminer « la mesure. Dans un communiqué publié le 17 septembre 2025, ces acteurs du mobile money estiment que la nouvelle taxation risque de « perturber gravement » un secteur « fragile » et grâce auquel le Sénégal fait figure de modèle d’inclusion financière. Les députés ne les ont pas entendus. Ils ont adopté la loi.
L’Organisation des professionnels des Tic (Optic), le patronat du secteur du numérique, a averti, de son côté, sur le risque que les nouvelles taxes ne soient « répercutées » sur les tarifs et supportées par les usagers. Pour ces chefs d’entreprises du numérique, la taxation « directe » sur la marge des opérateurs de mobile money pourraient réduire « drastiquement » les commissions des distributeurs voire entrainer des suppressions d’emplois.
Alors que le Premier ministre avait estimé que les deux catégories de taxes combinées devraient rapporter 220 milliards de FCFA sur les trois ans, l’organisation patronale souligne que cette mesure pourrait, au contraire, faire baisser les recettes budgétaires issues du secteur.
Les mêmes inquiétudes sont exprimées par de nombreux spécialistes des technologies qui évoquent le spectre d’un « retour au cash », dommageable à tout l’écosystème des transferts d’argent.
L’expérience d’autres pays africains montre qu’elle pourrait provoquer une baisse des volumes de 30 à 50 %, selon El Hadji Malick Guèye, président de l’Association sénégalaise des établissements de paiement et des émetteurs de monnaie électronique (Asepame), cité par le journal Le Quotidien du 17 septembre 2025.
Face à ses inquiétudes également relayés par certains députés, le ministre des Finances, Cheikh Diba, a estimé que la taxation n’est pas « aussi dramatique » que certains veulent le faire croire. Il a assuré que le gouvernement a « anticipé » sur les risques en décidant d’un taux de 0,5 % après analyse des mauvaises expériences dans des pays africains qui avaient appliqué une taxation bien plus élevée. Selon lui, les exonérations prévues sont de nature à « préserver » l’inclusion financière en empêchant un retour vers le cash.
L’exemple du Ghana a souvent été évoqué pour dissuader le gouvernement et les députés à franchir le pas. Dans ce dernier pays, les autorités sont revenues sur une décision de taxer à 2 % ce type de transaction financière en mars 2025. En Tanzanie, une taxe similaire introduite en 2021 a été par la suite revue à la baisse.
Ces nombreuses alertes n’ont finalement pas fait reculer le gouvernement et sa majorité parlementaire. La réforme a été approuvée avec 123 votes favorables contre huit votes défavorables à l’issue des débats.
IB/ts
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