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Sénégal : l’Etat peine à couper les routes de la migration « irrégulière »

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Ouestafnews– Entre le 30 septembre et le 2 octobre 2023, plus de 600 candidats à la migration ont été interceptés par la Marine nationale sénégalaise. Les opérations d’interception des embarcations en partance pour l’Espagne sont désormais courantes. Ces interceptions sont le résultat de l’adoption d’une nouvelle stratégie de lutte contre l’émigration irrégulière par le gouvernement sénégalais. Mais la stratégie ne semble pas en mesure de stopper des départs quasi quotidiens.

« Avant de partir, j’avais une boutique de transfert d’argent mais j’avais des difficultés à payer le loyer, la connexion et d’autres charges liées à ma personne et à la famille au village », explique Adama Diallo.

Ce candidat à l’émigration irrégulière qui a séjourné en Libye de 2017 à 2018 dit avoir tout abandonné à cause des conditions de vie de ses parents. Pour lui, arrêter les candidats avant ou après leurs départs n’est pas la solution car cela ne les empêchera pas de reprendre la route ou la mer.

« On peut les faire revenir mais il faut trouver aussi d’autres moyens qui puisent les retenir dans le pays », préconise Adama Diallo, aujourd’hui secrétaire général de l’Association sénégalaise de lutte contre la migration irrégulière (Asmi). 

Depuis plusieurs semaines, plus d’une dizaine de pirogues ont été interceptées, soit en haute mer, soit au moment des départs sur les côtes sénégalaises. En dépit de ces interceptions effectuées par la Marine nationale, les départs vers les côtes espagnoles sont quasi quotidiens.

Le 27 juillet dernier, le gouvernement du Sénégal a validé sa Stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière (SNLMI). Une nouvelle approche de lutte visant à « réduire drastiquement la migration irrégulière à l’horizon 2033 », a expliqué le Premier ministre, Amadou Bâ, lors de la présentation du document.

La SNLMI est axées sur cinq points : prévention contre les départs ; gestion des frontières de passage ; mesures de répression (contre les convoyeurs) ; mesures d’aide, d’assistance et de protection ; retour et réinsertion des migrants.

Selon le chef du gouvernement sénégalais, l’Etat a déjà renforcé « les contrôles aux frontières pour détecter et empêcher les entrées illégales » et pour « surveiller les points d’entrée et les routes fréquemment utilisées par les migrants irréguliers ».

Comme pour démontrer l’efficacité de l’action gouvernementale, la Marine nationale dit avoir intercepté, depuis le 1er juillet 2023, au moins 1.966 candidats à l’émigration irrégulière.  

Selon le Pr Aly Tandian, président de l’Observatoire des migrations au Sénégal, interrogé par Ouestaf News, cette nouvelle approche de la lutte contre l’émigration irrégulière n’est que « sécuritaire » et repose sur la « fermeture des frontières ». Alors que selon lui, « si on veut trouver une réponse à la crise migratoire, il est nécessaire de lui appliquer une gestion transversale en ouvrant la réflexion aux acteurs autres que les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères », affirme le Pr Tandian.

Si cette innovation est acceptée, l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis préconise la mise en place d’une véritable « gouvernance des migrations », avec la prise en compte et l’analyse détaillée de toutes les causes considérées comme étant les origines du phénomène.

Côté gouvernement, on compte pour le moment sur une réussite de la SNLMI avec une réduction espérée du nombre de départs des migrants vers les côtes espagnoles. Pour le ministre sénégalais de l’Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome, il est possible d’y arriver en s’attaquant aux motifs économiques et autres frustrations qui poussent les jeunes à l’aventure.

Mais aux yeux de nombreux acteurs, l’Etat du Sénégal fait fausse route.

« Toutes ces causes que sont le sous-emploi, la pauvreté, le chômage ou la pression sociale, ne sont que secondaires », avertit le président de la Fédération des associations des Sénégalais de l’extérieur et de retour (Faser), Youssoupha Mbengue. Pour lui, la problématique migratoire est d’abord et surtout liée à « un aspect psychologique ».  

« Même si on donnait du travail à tous les jeunes, certains abandonneront leur poste pour prendre les pirogues à destination de l’Espagne », explique ce conseilleur en psychothérapie.

Comme pour appuyer le président de la Faser, le Pr Aly Tandian évoque lui aussi la même problématique mais sous un autre angle. Ainsi, dit-il, en s’appuyant sur ses nombreuses recherches universitaires, les candidats à la migration irrégulière qui voyagent souvent ne sont pas sans emploi.

« Ils ont parfois deux ou trois activités professionnelles mais leurs revenus sont insuffisants pour entretenir convenablement leurs familles », souligne-t-il, prédisant un phénomène qui va « persister ».

Entre janvier et juin 2023, 7.213 migrants sont arrivés de manière irrégulière aux îles Canaries, selon un monitoring intitulé « Etat des lieux des départs : Sénégal, mouvements vers les Îles Canaries » de l’Organisation internationale pour la migration (OIM). Pour la même période en 2022, l’OIM indique avoir dénombré 8.853 arrivées pour la même destination.

Pour l’heure, les drames se suivent et se ressemblent. Le 24 juillet, au moins seize migrants sénégalais ont péri dans le naufrage de leur embarcation au large des côtes sénégalaises. Auparavant, plus de 60 autres ont perdu la vie après avoir quitté le village de pêcheurs de Fass Boye (nord de Dakar dans la région de Thiès) et fini leur périple dans les eaux cap-verdiennes. Les rescapés pris en charge par les autorités cap-verdiennes ont été rapatriés au Sénégal.

Pour faire face à l’émigration irrégulière, il faut « une solution définitive ». Et cela passera par la signature « d’une convention de rapatriement systématique afin que tout Sénégalais qui voyage irrégulièrement par pirogue soit rapatrié dès son arrivé », préconise Youssoupha Mbengue. Il suggère également des négociations d’Etat à Etat pour un accès facilité aux visas en faveur des jeunes et une suspension des accords de pêche qui lient le Sénégal à l’Union européenne.

Dans les récriminations des jeunes migrants – des pêcheurs pour la plupart, figurent en effet les pillages des eaux sénégalaises exercés par les navires de pêche de plusieurs pays européens, mais aussi chinois, russes, etc. Une surpêche dont la conséquence est la raréfaction des ressources constatée depuis plusieurs années, privant le Sénégal d’une de ses principales richesses.

Favorable à un « diagnostic réel actualisé » qui prend en compte le quotidien des populations sénégalaises, le Pr Aly Tandian prône le regroupement de toutes les structures  intervenant dans la gestion des migrations afin de mettre un terme à la « dispersion des réponses. »

ON/md/ts


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