Sans doute inspiré par le désormais tristement célèbre discours de Dakar du président français, Nicolas Sarkozy, sur une Afrique attardée et incapable de progrès et je ne sais quelles autres inepties encore, des citoyens français ont crû devoir bon, de venir en Afrique, comme cela se faisait jadis, semer la « bonne parole » civilisatrice et « salvatrice » de l’Occident, comme à la bonne vieille époque coloniale. Et, cela va de soi, en usant des bonnes vieilles méthodes expéditives qui allaient avec.
S’il ne s’agissait encore que de paroles et de ruse, notre indignation seule et nos habituelles condamnations auraient sans doute suffi, si tant est qu’elles servent à quelque chose dans un monde unipolaire dominé par l’Occident, qui y dicte injustement et impunément ses lois, faisant appel aux conventions et traités internationaux uniquement lorsque cela lui sied.
C’est cet Occident intraitable lorsqu’il s’agit de demander qu’on juge Hissène Habré et Charles Taylor –pour ne citer que les cas les plus en vue- qui aujourd’hui, avec Sarkozy en tête, demande qu’on « libère » Eric Breteau et sa bande, que la justice tchadienne se dessaisisse d’une affaire dans laquelle 103 petits enfants tchadiens innocents sont des victimes.
Et d’ici j’entends le sarcasme dans quelques petits salons de l’hexagone : « Quoi ? Un petit tribunal de nègres en train de juger des descendants de Gaulois de pure souche ? » Allons faut pas trop rêver !
Par contre, j’ai beau tendre l’oreille, j’ai beau éplucher les médias, je ne vois nulle part trace des indignations et des appels pressants et répétés de Human Rights Watch, d’Amnesty International, de Global Witness…!
Après tout, que vaut la vie et la dignité d’un misérable petit enfant africain, tchadien, face à celle d’un « humanitaire » venu « sauver » des vies, quitte à simuler « des blessures de guerre » sur le corps des enfants.
Il faudra sans doute faire appel à un autre grand Français, poète et conteur émérite celui-là, je veux parler de Jean de la Fontaine pour comprendre cette logique à deux vitesses de l’Occident. Le poète n’avait –t-il pas en effet décrété depuis sa fable du Loup et de l’agneau que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » !
Alors, à quoi bon s’indigner si le verdict est connu d’avance !
Mais voilà, il s’agit bien d’une affaire gravissime et pour cela nous ne saurions nous taire, ni rester les bras croisés, nous Africains.
Plus que des paroles blessantes ou des propos désobligeants ou outrageants, il s’agit d’un gangstérisme néocolonial, ni plus ni moins, fût-il d’un genre nouveau. Un gangstérisme assaisonné à la sauce humanitaire et servi à une Europe qui cherche à se faire bonne conscience, et qui pour cela est prête à payer quelques petits milliers d’euros pour « sauver » une vie, et … adopter un enfant. Et encore si ce n’était que cela !
En réalité, l’affaire de l’Arche de Zoé est purement et simplement un enlèvement, un rapt collectif, une razzia digne des siècles précédents, inacceptables en ces temps modernes ou conventions et traités internationaux « protègent » les enfants, tous les enfants du monde, contre toutes les formes de traites et de traitements dégradants.
En novembre 1989, l’assemblée générale de l’ONU n’avait-elle pas adopté la Convention internationale sur les droits de l’enfant, qui allait entrer en vigueur une année plus tard le 2 septembre 1990 ?
La France n’est-elle pas partie prenante de ce traité aujourd’hui ratifié par 192 nations dans le monde? Sarkozy et Eric Breteau devront bien nous dire – car à ce qu’on sache, seuls la Somalie (pour des raisons que l’on sait) et les Etats-Unis pour leur habituelle arrogance ne sont pas encore parties prenantes de ce traité.
Or dès son article 8, cette Convention affirme sans ambages que « les Etats parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale ».
Dès l’article suivant, il est stipulé que « les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré ».
Et l’article 11 d’ajouter : « Les États parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger ».
L’espace permettant, on aurait pu continuer à citer les 41 articles de « la première partie » de cette Convention de 1989, tous les uns plus accablants que les autres pour les acteurs de l’Arche de Zoé.
A présent, la paire Breteau – Sarkozy devra bien nous dire quelles mesures ils avaient prises pour assurer le « retour » de ces enfants qui n’avaient d’autre identité que des bracelets numérotés, portés au poignet!
Vous-dis-je, remplacez les sièges de l’avion sur lequel ils devaient voyager par les cales humides des navires esclavagistes qui sillonnaient l’Atlantique pendant les trois siècles de traite négrière, et vous comprendrez mieux l’entreprise macabre qui était en gestation à Abéché.
Répétons-le, dans cette affaire, il s’agit d’un enlèvement d’enfants – rien de moins –innocents, arrachés sournoisement à l’affection des leurs à qui l’on a servi un discours auquel aucun parent ne résisterait : offrir une meilleure éducation et bien plus de chances et d’opportunités à leurs descendants.
Mais en réalité, les desseins étaient autres, puisque Breteau avaient aussi déjà « vendu » ces enfants à de futurs parents (adoptifs ?) en France, dont certains menacent aujourd’hui de porter plainte. Ils ont raison de le faire et il faudrait qu’ils aillent jusqu’au bout de leur logique, puisque la marchandise –oui la marchandise – ne leur a pas été livrée.
Et racontez-nous toujours que la traite négrière est abolie : on vous croira les yeux fermés. Manifestez pour la libération des membres de l’Arche de Zoé, vos larmes et vos slogans seront bien mieux relayés dans les médias que celles des manifestants Tchadiens, de ces pères et mères affligés.
En attendant, et quatre décennies après le rêve brisé de Martin Luther King, sur l’île mémoire de Gorée, aux Antilles, dans les Caraïbes, aux Etats-Unis, et au Brésil, etc., l’Arche de Zoé doit avoir réveillé de lointains et traumatiques souvenirs. Souvenirs d’un certain voyage sans retour, dont les séquelles tragiques dans les contrées racistes de l’Amérique se font encore sentir dans les tripes.
Non, plutôt que dans la déclaration universelle des droits de l’homme, qui décrète l’égalité de tous les êtres humains (« qui naissent libres et égaux » nous enseigne-ton), on est ici en musique où une blanche vaut deux noires. Que ceux qui veulent le nier aillent danser ailleurs au rythme des balafons d’Afrique !
Et pour en revenir à l’Arche de Zoé, l’affaire qui survient au moment où l’on parle d’un nouveau partenariat entre l’Europe et l’Afrique, sur une base égalitaire, vient rappeler à nos bonnes consciences africaines qu’il s’agit de paroles creuses, hypocrites et intéressées !
Il faudra bien que nos dirigeants et nous mêmes comprenions enfin que le combat pour l’indépendance et la liberté de notre continent, le combat pour l’égalité est encore loin d’être achevé. Il reste à mener. Il est à gagner avant de nous laisser endormir sur des lauriers illusoires ou pas encore acquis.
L’Afrique et la race noire souffrent et souffriront encore, si nous ne sentons pas la nécessité de mener ce combat, aussi inégal fût-il.
Car les réactions indignées à Paris en signe de solidarité aux membres de l’Arche de Zoé et le voyage à la fois expéditif et intrusif de Sarkozy à Ndjaména sont là pour nous rappeler qu’il subsiste encore dans le subconscient de beaucoup d’Européens (heureusement pas tous !) des réflexes aux antipodes des valeurs universelles –ne serait-ce que supposées – d’égalité et de dignité humaines, des réflexes et des comportements que dépeignent les auteurs de cette macabre affaire et tous ceux qui les soutiennent.
Si la belle aventure de l’Arche de Zoé a pu être planifiée, c’est parce qu’elle sait compter sur des idéologues comme Sarkozy, ou encore le prix Nobel de médecine de 1962, James Watson qui, quelques jours avant l’éclatement du scandale d’Abéché, avait lui aussi ouvert de vieilles blessures en annonçant urbi et orbi que les Noirs sont moins intelligents que les Blancs, avant d’asséner son verdict assassin « toutes les recherches concluent » que c’est ainsi. Toutes les recherches, vraiment Professeur ?
C’est vrai que par leurs attitudes, Sarkozy, Watson et tous les autres qui pensent comme eux, nous ramènent des décennies, voire des siècles en arrière, pour mener des combats qui auraient dû ne plus avoir raison d’être déclenchés.
Car ne les voilà-t-il pas qui en plein 21ème siècle, après un demi-siècle d’indépendance acquises de haute lutte et parfois au prix du sang et près deux siècles après l’abolition de l’esclavage, ne les voilà-t-il pas donc qui s’érigent en idéologues ébauchant des arguments à l’usage des explorateurs et des « civilisateurs » d’un genre nouveau (comme Breteau) qui se comportent en conquistadores pour décider de ce qui est « bien » pour l’Afrique et ses enfants.
Les vaillants combattants pour l’indépendance de l’Afrique et pour la libération des Noirs, se seraient-ils battus en vain ? Seraient-il tombés sur le champ d’honneur pour que leurs descendants soient vendus comme de vulgaires petits pains, fussent-ils labellisés « orphelins du Darfour » à coup de bandages sur des fronts indemnes de toute blessure, si ce n’est la blessure de l’affront subi ? Assurément Non! Et Nous devons collectivement dire Non.
Dans cette affaire, et comme dans plusieurs autres, hélas souvent plus sulfureuses et plus ambigües les unes que les autres, se vivent un mélange de nostalgie coloniale et de paternalisme hypocrite, combinée à l’arrogance et au mépris que confèrent la force inculte et négationniste des Zembla et autres Tarzan salvateurs de notre époque.
Je veux parler de Tarzan et Zembla, ces héros de bandes dessinées sauveurs de peuples primitifs et dont on a matraqués nos esprits d’enfants pour démontrer la supériorité de la race blanche, et que beaucoup de jeunes Africains ont lu et dévoré avec passion et innocence sans en percevoir le message sous-jacent.
Remplacez les lianes par l’avion et relisez les propos de sa « compagne » cités dans les médias français, et vous comprendrez que le Monsieur Breteau en prison au Tchad ne se prend pas moins que Zorro. Un véritable Tintin en Afrique.
Comme George Bush qui a voulu amener la démocratie, la paix et le bonheur en Irak par les obus avec les conséquences que l’on sait , Eric Breteau, « sa compagne » et sa bande de copains, veulent coûte que coûte et vaille que vaille par des procédés abominables apporter le « bonheur » à des peuples qui n’en ont pas encore fait la demande, n’en ont pas manifesté l’intérêt.
Mais Sarkozy ne leur a-t-il pas enseigné depuis sa chaire usurpée de l’Université de Dakar une après-midi de juillet 2007, que nous étions attardés ? Ne leur a-t-il pas fait comprendre que nous devrions être sauvés ? Encore une fois nous devons dire Non.
Non à Sarkozy, Non à Watson, Non à Breteau. Non aux pirates de l’humanitaire. Et ce Non là, nous devons le dire debout.
Ces salvateurs d’un genre nouveau, n’ont trouvé de mieux pour sauver l’Afrique et ses enfants que d’aller les vendre à des parents « adoptifs » – parfois bien intentionnés et honnêtes, parfois en mal d’affection dans des sociétés ultra-libérales qui ne peuvent plus rien leur offrir de ce côté là, et parfois à de vulgaires criminels qui cherchent des êtres à réduire à l’esclavage, la main d’œuvre domestique étant devenue une denrée rare en occident.
Je n’ose pas penser aux réseaux de pédophiles à l’affût, évoqués par un journaliste français, Thierry Meyssan, président du réseau Voltaire.
Et rien ne dit quel sort serait réservé à ces enfants puisqu’ils n’auraient laissé derrière eux personne pour réclamer qui que ce soit, personne pour se plaindre auprès de qui que ce soit. Ils auraient été tout bonnement perdus pour les leurs. Une deuxième rupture du cordon ombilical. Oui le lien avec l’Afrique coupé pour de bon et eux perdus à jamais!
Et pour cela l’Afrique doit dire Non, et elle doit le dire haut et fort. Un Non solidaire et agissant, comme jadis l’avaient fait Agostinho Neto et Amilcar Cabral, Samory Touré et El Hadji Cheikh Oumar Tall. Et encore plus près de nous, Nelson Mandela… Car aujourd’hui c’est le Tchad, demain ce sera un autre pays.
Bref, à l’Afrique unie et solidaire de réclamer justice en terre tchadienne.
Aux Africains de dire Non et de clamer : « nous sommes tous Tchadiens ! ».
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