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Justice en Côte d’Ivoire : indépendance sous contrôle

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Ouestafnews – Du parti unique au foisonnement des partis politiques et jusqu’à ce jour, la justice ivoirienne a souvent fait parler d’elle. Pas toujours en bien. Et selon le bord où on se situe, son histoire se raconte différemment. 

« En 2016, j’ai un eu un contentieux judiciaire pendant plusieurs mois avec une entreprise d’extraction minière et j’en suis sorti très déçu de la décision du juge »,   raconte avec amertume Kassoum Yéo, propriétaire  foncier à Tingréla au nord de la Côte d’Ivoire. Selon Yéo qui en était à sa première expérience en justice, « il est souvent mieux de régler les différends à l’amiable que de se présenter devant un magistrat ».

Pour les citoyens comme Yéo, certains verdicts rendus par la justice ivoirienne posent problème. Dans d’autres cas c’est « son inaction » même qui est pointée du doigt. Si ce ne sont pas des verdicts douteux ou la lenteur, c’est le traitement même de certains dossiers qui ravive la suspicion.

Le manque d’intégrité de la justice profite à certains justiciables qui usent de moyens illégaux et peu recommandables lorsqu’ils sont impliqués dans une procédure judiciaire. Les actes de corruption imputables à la fois à des juges et aux justiciables sont souvent relevés comme la plaie de la justice ivoirienne.

Dans les couloirs des tribunaux, le phénomène des « margouillats » est connu de tous les Ivoiriens.

 Les « margouillats », ce sont des « intermédiaires généralement sans emploi, qui rôdent autour des administrations judicaires, se chargent de remettre aux agents de justice les pots-de-vin versés par les justiciables pour obtenir une décision qui leur soit favorable ou un document en un temps record », expliquait le média en ligne, Nouvel humanitaire.

A côté des citoyens qui se plaignent de l’absence d’intégrité des juges, la classe politique, quant à elle débat de son indépendance avec des appréciations totalement divergentes selon qu’on soit du côté du pouvoir ou de l’opposition. 

Sur ce dernier chapitre (équidistance vis-à-vis des chapelles politiques), les  douloureux évènements de 2010-2011, continuent  de diviser les Ivoiriens sur l’indépendance ou pas de la justice de leur pays.

« En 2010, la Cour constitutionnelle avait proclamé la victoire d’un candidat avant de se dédire sous la pression de la communauté internationale », affirme le docteur en droit Fréjus Konan  qui milite également droits humains. Pour lui, « ce double jeu » en dit long sur la liberté d’action des magistrats.

Cette décision avait conduit le pays dans une longue et meurtrière crise post-électorale qui avait fait 3000 morts, selon le décompte officiel. 

Rappelant une vieille affaire, également aux relents politiques (la tentative de destitution, en 2002, du président Laurent Gbagbo), le juriste Dr Boga Sako Gervais, retient  que le plus gros handicap de la justice ivoirienne est qu’elle a été une « justice des vainqueurs ».

La crise de 2002 opposait les insurgés venus du nord de la Côte d’Ivoire et dirigées par Guillaume Soro à leurs frères d’armes loyaux au président Laurent Gbagbo arrivé au pouvoir en 2000. Le bilan de ce triste épisode de l’histoire du pays reste inconnu et la justice n’a rien fait pour aider à mettre la lumière sur cette crise.

« Nul n’est en mesure de dire ce qui s’est réellement passé et situer les responsabilités » dans les atrocités perpétrées à l’ouest du pays en 2002, affirme Oulaï Célestin, Président d’une coopérative agricole café-cacao, à Biankouman, dans l’ouest du pays.

« Dans les traitements des dossiers des victimes que nous défendons, on a toujours décrié les lenteurs, l’inaccessibilité et surtout la dépendance de la justice aux politiques », déplore Dr Sako, par ailleurs président de la Fondation ivoirienne pour l’observation et la surveillance des droits de l’homme et de la vie politique.

Influence du pouvoir exécutif

« Le système judiciaire ivoirien est à parfaire », tranche Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste. Pour argumenter son point de vue, il met en exergue le placement du procureur général et du procureur de la République sous la tutelle du  ministre de la Justice.

Pourtant,  la constitution ivoirienne de novembre 2016 consacre en son article 139 que « le pouvoir judiciaire est indépendant ». Mais selon Dr Konan Fréjus il existe « un malaise juridique » dans cette constitution. Car le même article 139, en son alinéa 2, donne beaucoup de pouvoir au président de la République considéré comme « le garant de l’indépendance du pouvoir judicaire assisté par le Conseil supérieur de la magistrature ».

« La collaboration est trop étroite pour des pouvoirs qui sont censés être séparés », déplore Aquilas Yao, consultant-formateur au Centre d’éducation pour une société durale. De son point de vue, une « démarcation très nette du parquet pourrait réduire les idées reçues sur l’état du système judiciaire ivoirien ».

L’article 145 de la constitution de 2016 est aussi la preuve de la prégnance de l’exécutif sur Le CSM. Il dispose que cet organe est « présidé par une personnalité nommée par le président de la République parmi les hauts magistrats en fonction ou à la retraite ».

Les autorités ivoiriennes se défendent en brandissant justement l’existence du CSM comme argument. En février 2022, le ministre de la Justice, Sansan Kambilé se félicitait de l’adoption du projet de loi portant statut de la magistrature par la Commission des affaires sociales et culturelles de l’Assemblée nationale.

Ce projet de réforme fait du CSM « le seul organe disciplinaire des magistrats du siège et du parquet. Il met en avant la recomposition de la commission d’avancement des magistrats et renforce le droit syndical du magistrat pour la défense de leurs intérêts », se réjouissait le ministre de la Justice.

Pour certains analystes, c’est la loi fondamentale censée garantir les libertés semble qui pose elle-même les bases de d’une «  justice aux ordres ».

La Côte d’Ivoire a ratifié la plupart des engagements internationaux en lien avec l’indépendance de l’appareil judiciaire. Mais dans la pratique, les critiques laissent croire qu’il n’en est pas ainsi.

DS/fd/ts

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