Le « non » grec, vu de Dakar (Editorial)

0
2307

Par Hamadou Tidiane Sy*

La Grèce a osé. Elle a vaincu. Devant les créanciers « internationaux » et devant le Fonds monétaire international (FMI), le peuple grec a fait bloc derrière son premier ministre. Quelle belle leçon ! Que j’aimerais un jour voir un chef d’Etat sénégalais (ou africain) soumettre les conditionnalités du FMI au verdict populaire avant de signer quoi que ce soit!

En tout cas, et contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, désormais, Alexis Tspiras a les coudées franches. En plus il a le soutien de son peuple pour renégocier à ses termes les conditions de la dette de son pays, estimée au 30 juin 2015 à 312,65 milliards d’euros.

Qu’on ne s’y trompe pas, la Grèce comme tous les « petits » pays endettés du monde, est plus victime que fautive. Victime d’un système financier international injuste qui suce le sang des plus faibles pour engraisser les plus puissants. Souvent négociée dans des conditions douteuses pour bénéficier à une petite clique, les peuples n’entendent parler de cette dette que lorsque vient l’heure des douloureux « remboursements » et des mesures d’austérité qui vont avec.

Tspiras aura donc été celui qui a brisé le tabou. Désormais pour qui le veut, la dette peut se négocier et se régler sur la place publique, et le peuple aura son mot à dire. Du moins, si les autres osent suivre la voie grecque.

Tabou brisé et « non » libérateur

Plus qu’un cri de révolte d’un peuple martyrisé depuis des mois, le « non » des Grecs peut donc s’avérer à la fois libérateur et salvateur. Il peut ouvrir les yeux à des millions d’êtres humains à travers la planète, soumis depuis des décennies au diktat du FMI et des « créanciers internationaux ». En Afrique, en Asie, en Amérique latine, et même parfois, jusque dans les pays dits « développés».

Mais comme c’est souvent le cas, on ne nous dit jamais tout sur ces affaires là.

Dans cette crise grecque, « ce dont personne ne parle est qu’un autre plan de sauvetage réussi a effectivement eu lieu à ce moment-là en 2010, (…) pas au bénéfice de la Grèce, mais au profit des banques privées. Derrière la crise grecque, il y a un énorme plan de sauvetage illégal pour les banques privées. Et la façon dont il est mené représente un risque immense pour l’Europe », nous explique Maria Lucia Fattorelli sur le site de la Coalition Pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde.

Exemple à l’appui, elle nous révèle que « la répartition du budget national grec montre que les dépenses de la dette l’emportent sur toutes les autres dépenses de l’État. En fait, les prêts, les autres titres de créance, intérêts et autres frais, couvrent 56% du budget » !

Et voilà comment on dépouille un pays. Voilà comment on asservit une nation. Le tout, en demandant, sans pitié aucune aux plus démunis de subir, tandis que les créanciers (appelons-les « terroristes » pour retenir la nouvelle terminologie grecque) accumulent et s’enrichissent, sans coup férir.

Si la Grèce était… africaine

C’est ma conviction : la Grèce ne serait-elle pas logée au cœur même de l’Europe que Tspiras, dès demain, aurait à affronter une « rébellion » armée ou une « insurrection populaire », si ce n’est un coup d’Etat militaire – des actions (pas toujours) mais souvent téléguidées et financées de l’extérieur. Les récents mails de Mme Hillary Clinton n’ont-ils pas montré que Nicolas Sarkozy est le vrai commanditaire, instigateur et financier du « soulèvement » qu’on qualifiait de « populaire », qui a fini par emporter le colonel Mouammar Khadhafi de Lybie?

Hélas, quand les peuples finissent par apprendre ces choses là, il est déjà trop tard, le mal est fait et le chaos installé. Comme ce fut tard lorsqu’on a appris qui étaient les vrais assassins de Patrice Emery Lumumba. Comme il sera beaucoup trop tard lorsqu’on connaitra les vrais commanditaires de l’assassinat de Thomas Sankara.

Si le retentissant « non » grec, nous intéresse tant, c’est parce que depuis plus de trois décennies, les mêmes qui ont voulu asphyxier le peuple grec et faire partir Tspiras, nous ont mis le couteau sur la gorge et ont fait chanter nos pays.

Ils nous ont terrorisés et ont imposé des mesures draconiennes à nos gouvernements couards ou complices. Ils nous ont fermé nos écoles publiques et nos hôpitaux. Ils ont réduit nos budgets de santé. Ils nous ont privés de transport public décent. Ils nous ont affaibli nos institutions publiques, au point de délégitimer nos Etats.

Le diktat continue

Pire encore, ils continuent de le faire. Avec toujours la complicité d’une petite élite locale corrompue et qui ne s’intéresse qu’à sauver ses intérêts. Quitte à affamer et humilier le peuple. Ce que Tspiras a courageusement refusé.

Illustration : au moment même où Tspiras insultait les « maîtres chanteurs » du FMI et tenait la dragée haute à ses pairs « terroristes » de l’Europe, les fonctionnaires, aussi coûteux qu’inutiles, du Fonds monétaire international, donnaient des leçons à Dakar, précisant quelle catégorie de personnels il faut payer, à quelles conditions et à combien. On est loin des slogans creux sur la défense de la « souveraineté » et de la « dignité » des Sénégalais.

Alors que le peuple grec menait sa lutte ardue contre le FMI pour refuser de se plier à un arbitrage et une dictature injuste, Dakar se bombait le torse d’avoir conclu « un accord » avec le FMI. Un FMI qui « recommande » par exemple au Sénégal de faire attention à ne pas trop… s’endetter, à réduire la dépense publique et à lever davantage de taxes. Le triptyque ne vous rappelle-t-il rien ?

Ce sont ces mêmes fonctionnaires du FMI, arrogants et parfois corrompus (on se souvient du cas Alex Segura) qui viennent en Afrique s’ériger en maîtres absolus, décident à la place des ministres des finances, décrètent à la place des chefs d’Etats, coupent les emplois et affament les peuples. Ce n’est ni juste, ni acceptable. Et pour ceux qui doutaient encore qu’une réponse ferme et intelligente est possible, Tspiras à montré la voie.

Pour la petite histoire, le Sénégal a au 31 décembre 2014 une dette estimée à 5,747 milliards de dollars, représentant environ 47,5 % de son Produit intérieur brut. A titre d’exemple, à la même date, la dette des USA était à plus de 71% de leur PIB, et celle de la France à plus de 95 %. La seule différence : les voix de ces deux pays comptent au FMI. Celle du Sénégal comme celle de l’ensemble des pays africains (à qui on fait souffrir le martyre que les Grecs ont refusé) ne compte pas. C’est ce qu’a compris le « jeune » Tspiras.

*Hamadou Tidiane SY, journaliste sénégalais, fondateur Ouestaf News, Fulbright New Century Scholar, Fellow Ashoka & Knight

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici