Ouestafnews – Venus de plusieurs pays du continent, des journalistes réunis à Dakar pour le Salon international des médias d’Afrique (Sima) racontent, chacun à sa manière, un même drame collectif : celui d’un métier soumis à de fortes pressions, qui vacille mais tient à résister.
Dans une salle moyennement remplie de la Maison de la Presse sénégalaise, des voix de professionnels des médias se succèdent aux micros. Toutes, venues de différents pays d’Afrique, racontent les mêmes réalités, sous des accents différents : les difficultés du métier en Afrique. La peur s’installe, mais les voix qui s’expriment cherchent aussi des issues.
Du Bénin au Tchad, les récits se ressemblent : arrestations, menaces, restrictions des libertés. Mais tous parlent aussi de solidarité, de courage et de la nécessité de se former, de se protéger, de collaborer pour survivre.
« J’ai compris qu’au Bénin aussi, enquêter sur la sécurité peut devenir dangereux ». C’est Flore Nobimé, journaliste béninoise, qui témoigne. Discrète, voix calme (NDLR, est aussi une collaboratrice d’Ouestaf News, basée à Cotonou), elle évoque le jour où en collaboration avec un journaliste européen, son travail sur le Parc de la Pendjari en 2022 a tourné au cauchemar. Dénoncés, raconte-t-elle, ils ont été accusés d’espionnage après avoir été gardés à vue et subi des interrogatoires nocturnes.
Ils seront libérés par la suite. Selon ses propres mots, cette expérience l’a « profondément marquée ». Flore raconte avoir détruit ses données pour protéger ses sources. Puis elle sourit légèrement : « si j’avais connu plus tôt les réseaux de journalistes d’investigation du Sahel, je n’aurais pas été seule ».
À mesure que les récits s’enchaînent, d’autres formes de menace sont relatées. Édouard Samboué du Togo, fondateur du média Laabali.com, évoque des attaques numériques, les piratages, la manipulation en ligne. « Il faut que nos rédactions apprennent à se défendre : créer des cellules de crise, des équipes formées à la cybersécurité ».
Les récits se font l’écho des mêmes difficultés d’un pays à l’autre. D’après le dernier classement de Reporters Sans Frontières (RSF), dans le Sahel, la violence et l’instabilité ont plongé les médias dans une crise sans précédent. Ce classement annuel évalue le degré de liberté de la presse au niveau mondial dans 180 pays.
Au Mali (119e) et au Burkina Faso (105e), des journalistes ont été poussés à l’exil, d’autres enrôlés de force ou réduits au silence. Des stations de radio ont fermé, et les correspondants étrangers ont été expulsés.
Menaces physiques
Dans l’est de la RD Congo (133e), la guerre a déjà entraîné la fermeture de dizaines de radios communautaires, privant des communautés entières d’accès à l’information.
Quand il prend la parole, Djimet Wiche ne lit pas de notes. Sa voix est posée. Vice-président de l’Association des médias en ligne du Tchad, il raconte les enlèvements, les filatures, les nuits blanches causées par la peur. « J’ai moi-même été enlevé une nuit, puis relâché », confie-t-il.
Il marque une pause, puis raconte l’histoire d’un autre journaliste, travaillant pour le média Tchad Infos. Ce dernier a été arrêté en 2023 après qu’une vidéo du président, « filmée en direct par des médias libyens », a circulé sur les réseaux sociaux. Selon lui, ces cas ne sont pas « isolés », précisant avoir « recensé plusieurs affaires similaires ».
Après les récits lourds du Tchad, la parole se fait plus légère avec l’intervention du journaliste mauritanien Khalilou Diagana, correspondant de la Deutsche Welle en Mauritanie depuis 2013.
Diagana retrace le parcours de la presse mauritanienne qui n’a pas été tout le temps lisse : des années 1990, marquées par la censure, à la prouesse d’être classée première en Afrique pour la liberté de la presse en 2024 par RSF.
« Avoir la liberté, c’est une chose. En faire bon usage, c’en est une autre », souligne Diagana : la plupart des journalistes en Mauritanie n’ont pas reçu de formation professionnelle. Ceux qui en ont bénéficié l’ont souvent fait à l’étranger, la Mauritanie ne disposant pas d’école de journalisme.
« Sans école de journalisme, sans modèle économique, la presse mauritanienne reste fragile », selon Diagana qui ajoute que « la vraie indépendance, c’est celle qu’on finance soi-même ». Murmures d’approbation dans la salle.
Traitement patriotique
Le cas mauritanien reste l’une des rares exceptions sur le continent. Dans la salle, Camille Montagu, chercheur à RSF, dresse un constat alarmant au Sahel. Il parle d’expulsions de correspondants étrangers, de suspensions croisées entre les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES, Burkina Faso, Mali et Niger) et de l’autocensure qui s’installe chez les journalistes « par peur de mal parler ».
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont connu des coups d’État militaires respectivement en septembre 2022, mai 2021 et juillet 2023. Depuis, il y a une restriction des libertés et une intensification de la répression visant la presse dans ces trois pays.
Pour appuyer ses propos, Camille Montagu cite des exemples récents, dont la suspension du média Joliba TV au Mali à la suite d’une plainte du gouvernement burkinabè. Il pointe aussi la demande de « traitement patriotique » de l’information qui a pris le relais de l’information libre dans cette zone. Son constat : « le silence s’installe souvent avant même la censure ».
Dans ce contexte « sahélien », le « traitement patriotique » fait référence à une pression exercée pour imposer une vision de l’information jugée favorable à la nation.
Bandiougou Danté, dans son grand boubou bleu, réagit aussitôt. Président de la Maison de la Presse du Mali, il s’insurge contre cette appellation. L’appel au patriotisme « n’est pas de la propagande (…) c’est un appel à la responsabilité ».
Danté dénonce des manipulations de certains médias étrangers qui présentent « le Mali uniquement sous un jour négatif ». Il poursuit, sous les applaudissements de la forte délégation malienne, « nous ne sommes pas les porte-parole du gouvernement, mais une presse diverse. Nous refusons d’être instrumentalisés ».
Les organes de régulation et la justice deviennent des instruments de contrôle. Les sanctions administratives ou économiques s’ajoutent aux menaces physiques, renforçant la vulnérabilité des médias locaux.
Une étude de l’Institut africain pour les politiques de développement (Afidep, African Institute for Development Policy, sigle en anglais), datée de 2023, confirme cette tendance.
Selon l’étude, la grande majorité des pays africains (48 sur la cinquantaine) ont obtenu des scores défavorables sur l’indicateur de « la censure des médias avant publication par l’État et la promotion de l’autocensure par le gouvernement ». Pour cette institution, ce résultat « illustre clairement l’ampleur de la censure des médias en Afrique ».
Les difficultés de la presse ne se limitent pas qu’aux menaces, à la censure, aux arrestations et autres restrictions de libertés : dans plusieurs pays d’Afrique, la viabilité économique et financière des médias se pose avec acuité. Au Sénégal, depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, la presse est soumise à une forte pression fiscale. Dans la plupart des pays, l’information libre devient un exercice d’équilibriste entre survie économique et intégrité professionnelle pour les médias.
Le journaliste et formateur camerounais, Alex Blériot Momha, souligne que dans un contexte de dépendance publicitaire et de pressions politiques persistantes, garantir une information libre et fiable suppose de repenser la gouvernance des rédactions.
Selon RSF, au Bénin comme au Togo, les rédactions vivent presque exclusivement des annonces publiques et des contrats institutionnels. Pour Khalilou Diagana, cette dépendance fragilise les médias. Sa crainte : « un changement de gouvernement, et tout peut s’arrêter ».
Exactement ce qu’ont vécu les médias sénégalais avec l’avènement d’un nouveau pouvoir.
HD/ts
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