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Ne tuez pas notre illusion ! (Libre opinion)

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Par Hamadou Tidiane Sy*

Vont-ils nous voler jusqu’à l’illusion de « pays béni » de Dieu ? Cette belle illusion, tracée comme une verticale, écarlate et infaillible, venue droit du ciel pour se poser sur la terre. Sur notre terre. Puis blottie au plus profond de chacun de nous.

Toute illusion qu’elle fût, elle nous servit de repère et nous permit de rester debout. De rester un pays. De nous croire plus fort que le mauvais sort.

Que sera alors mon pays demain, lorsqu’ils auront emporté ce trésor si singulier avec le reste du butin ?

L’or, le CFA, les terres, et jusqu’aux plages au bord de nos mers, et jusqu’au verre d’eau déjà sur le bout de nos lèvres, ils avaient déjà pris.

Jusqu’au petit poisson qui survivait dans nos assiettes… amaigries. Jusqu’au pain, déjà dans nos petites bouches, sobres pourtant, et d’une pudeur quasi religieuse.

Le peuple, encore plus pudique, plus stoïque que sa petite bouche, droit et digne dans la douleur, leur avait tout laissé. Par dépit.

Et nous dormions, le ventre creux, dans les chaumières, mais accrochés à notre illusion verticale. Notre bouée de sauvetage, venue droit du ciel, notre destin de « nation bénie ».

Puis, ils ont pris un peu de nos espaces et de nos espérances. De nos libertés et de nos rêves aussi. Ah, j’allais oublier, de notre justice également. Et quoi encore ? Je ne sais plus. 

Peu importe le résultat de l’inventaire, je sais qu’ils ont, presque, tout pris. Le butin ne tient plus ni dans leurs poches, ni dans les coffres de leurs voitures, ni dans leurs demeures. Ni même dans leur pays. Il leur faut des paradis fiscaux et des comptes offshore, et des résidences loin de la terre natale. Tellement ils ont pris.

Ne nous restait plus que cette illusion, de pays des vénérés sages, de « pays béni » de ses saints. De « pays béni » de Dieu. Le pays où Allah a cru bon de faire naître des hommes peu ordinaires. Des guides habillés de haillons, mais tous drapés de lumières. Divines.

Hier et aujourd’hui, les armes ont encore tonné. Oui, dans mon pays. Celui-là même que l’on dit « béni de Dieu ».

Et ce soir de mars, je me retrouve  à supplier les bénédictions qui, pressées et en rang serrés, demandaient avec insistance, de quitter notre terre. Elles ne veulent compagnonner ni avec les morts, ni avec le feu, ni avec l’injustice, ni avec la violence. Ni avec l’arrogance qui les porte. Elles veulent partir, les bénédictions, avec leur pureté première.  Accepterons-nous de les laisser quitter ce beau pays ?

La terre, prise de honte, n’a pas tremblé. Elle a tourné les yeux. Elle a sorti un faible gémissement. La terre, ma terre m’a confié qu’elle ne pleure pas. Elle nous attend. Nous tous.

Lorsqu’elle tremblera, m’a-t-elle encore confié, c’est pour ouvrir ses entrailles et nous y accueillir. Tous. Alors, autant qu’elle ne tremble pas. Oui, elle attend. Elle n’a pas tremblé.

Ce que nous entendons, ces détonations, ces explosions, ce n’est pas la terre qui tremble. Ce sont eux encore ! 

Ils sont revenus et veulent nous arracher cette illusion, le dernier petit refuge qui nous reste avant le néant. Après le dépouillement. Après le dénuement. 

Ne leur a-t-on pas dit qu’on ne laisse pas un peuple nu ? Pourtant ils sont là, à l’affût, avec la mort comme compagne. Prêts à nous ôter ce manteau d’illusion, le seul petit ferment de fierté qui nous reste, face à l’océan de honte.

La terre, ma terre, la terre de mes aïeux, celle où demain je souhaite reposer, les a vus. Elle a encore gémi. Elle a pleuré, cette fois. Elle refuse de trembler. Ma terre ne tremblera pas pour eux.

Nous reste alors la prière. La mienne en ce soir de mars, la voici. Dieu fasse qu’ils n’emportent pas l’illusion qui nous a bercés et nous a unis. L’illusion de vivre dans un « pays béni ». Cette douce illusion qui facilite et apaise notre sommeil, y compris les jours de peur et les soirs de disette, dans toutes nos chaumières, mêmes les plus décrépies. Celles d’ici et celles des confins du pays.

*Hamadou Tidiane Sy, journaliste, fondateur d’Ouestaf News,


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