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Sud Soudan : sans paix, justice et réconciliation, l’avenir en jeu (Libre-Opinion)

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Par Dr Suliman Baldo*

Après avoir réalisé son rêve d’accéder à l’indépendance, il y a à peine plus de deux ans, le peuple sud-soudanais se retrouve entraîné dans un autre cycle de massacres qu’il ne contrôle pas. Ses deux plus hauts dirigeants politiques semblent bien déterminés à se détruire mutuellement dans une lutte pour l’exercice sans partage du pouvoir politique. Les violences politiques et interethniques ont coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes et ont également conduit au déplacement de presqu’un million d’individus. Cette situation résulte de violations graves et systématiques des droits humains par toutes les parties impliquées. Maintenant, le risque de famine est réel si l’assistance humanitaire n’est pas amplifiée rapidement et si elle ne parvient pas à ceux qui en ont désespérément besoin. Il n’est donc pas exagéré de dire que l’avenir du Soudan du Sud est en jeu.

Certes, depuis décembre 2013, quelques développements positifs ont été constatés au Soudan du Sud. La création, par la Commission de l’Union Africaine (CUA), d’une commission qui enquêtera sur les violations généralisées des droits humains, devrait donner de l’espoir à tous les Africains. L’espoir non seulement que l’UA respecte son engagement, en vertu de son Acte Constitutif, de combattre l’impunité et d’intervenir pour prévenir les crimes et atrocités à grande échelle mais aussi l’espoir que le peuple sud-soudanais puisse finalement être en mesure de dire stop aux vagues de violence successives dont il souffre depuis des décennies et de s’attaquer à leurs causes profondes. En présentant un compte rendu objectif et fiable du déroulement chronologique des faits jusqu’à ce jour, le rapport de cette commission d’enquête permettrait d’éviter que les parties au conflit ne manipulent le récit des faits afin de servir leurs propres intérêts politiques. La commission pourrait également dissuader les autres hommes forts africains d’alimenter les violences ethniques ou de commettre de graves violations des droits humains, en leur envoyant un message les informant des répercussions juridiques sérieuses éventuelles.

Comme la commission a été mise en place par la Présidente de la CUA, Dr. Dlamini-Zuma, elle servira de point de référence important sur la façon dont le continent réagit aux crimes et atrocités commis à grande échelle. Il faudrait que cette commission soit réellement indépendante, qu’elle suive toutes les pistes où qu’elles mènent et qu’elle rende publiques ses conclusions. Chargée de recommander comment veiller à ce que les auteurs de violations des droits humains en soient tenus responsables, la commission devra indiquer également comment le pays peut guérir les plaies internes causées par les divisions ethniques afin de bâtir des institutions démocratiques nécessaires à sa stabilité à long terme. L’accomplissement d’une telle tâche dans le délai fixé de trois mois est un travail difficile, même pour l’équipe de cinq membres, des personnalités africaines éminentes, qui constituent cette Commission dirigée par l’ancien président du Nigéria Olusegun Obasanjo. Cependant, avec de bons enquêteurs spécialisés, des experts en droit international, en violences sexuelles et de genre et des experts en médecine légale et en balistique, la tâche n’est pas insurmontable. L’UA pourrait compter sur l’appui international de l’ONU et des autres organisations dans cette mission vitale.

Cependant, la commission d’enquête seule n’est pas une panacée. Même si elle fait son travail dans l’immédiat au moment où les preuves existent encore et que la mémoire des témoins est encore fraîche, la mise en œuvre des recommandations ne sera pas possible si les combats continuent. Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU- notamment les USA et la Chine- aux côtés de l’Afrique du Sud, de l’UE et de la Norvège devraient exercer une plus grande pression sur les parties en conflit pour qu’elles s’engagent à poursuivre des pourparlers politiques complets. Des efforts diplomatiques concertés avec les pays voisins du Soudan du Sud, notamment l’Ethiopie et le Kenya, sont également nécessaires pour mettre fin au conflit avant qu’il ne déstabilise [toute] la région.

La CUA devrait tenir compte des demandes des Sud-soudanais qui réclament une justice transparente et responsable. Trop souvent, les institutions africaines, avec l’appui de la communauté internationale, ont soutenu des arrangements politiques de circonstance avec les belligérants pour mettre fin à des conflits meurtriers survenus dans d’autres parties du continent. Il existe, en effet, des exemples datant du début des années 1990 alors que les querelles internes entre les dirigeants du SPLM divisaient des communautés ethniques. Ces communautés ont participé au "People to People Peace Process" (Processus de paix entre communautés) grâce à la médiation de l’Eglise. Malheureusement, le SPLM n’a jamais eu le courage d’avouer sa responsabilité ni de faire face aux atrocités commises par ses propres dirigeants: ces plaies suppurent encore.

Il ne devrait plus y avoir ni amnisties générales, ni solutions politiques faciles, ni même de solutions superficielles aux problèmes graves secouant la gouvernance du pays. Il nous faut écouter la voix de la société civile qui s’élève de l’intérieur du Soudan du Sud pour demander à l’UA et à l’IGAD d’initier des négociations ouvertes aux femmes, aux jeunes, aux chefs religieux et aux ONG. Il faut veiller à ce que ce processus de négociation soit sans exclusive et conduise aux réformes nécessaires permettant une paix durable et la réconciliation nationale; sinon le Soudan du Sud risque de subir des dégâts irréparables à son tissu social: ce qui pourrait menacer la viabilité même de l’Etat. Les nombreux sacrifices faits par le peuple sud-soudanais ne doivent pas être vains. C’est enfin l’heure de vérité pour les dirigeants sud-soudanais des deux parties impliquées dans le conflit.

*Le Dr Suliman Baldo est expert en droits humains et en justice transitionnelle à l’échelle internationale. Il est le Directeur Exécutif du Sudan Democracy First Group. Il était également Membre de la Commission d’enquête de l’ONU pour la Côte d’Ivoire en 2011.


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