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Un siècle sino-africain (LIBRE OPINION)

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Par Adama GAYE*

Ne vous laissez pas distraire par les rencontres célébrant les puissances d’hier, à l’image du Sommet francophone qui s’ouvre aujourd’hui, en Suisse. Comme les Jeux du Commonwealth, organisés du 3 au 14 Octobre, en Inde, ces agapes autour de la langue francaise ne sont que la perpétuation d’un autre projet désuet, d’inspiration post-coloniale. L’avenir est ailleurs: au Sud!

C’est là que les régions du monde, notamment l’Afrique, ont intérêt à nouer des alliances avec des partenaires stratégiques émergents, comme la Chine, le Brésil ou l’Inde. Dans son cas, commencer par la Chine relève du bon sens.

"Le destin de la Chine est lié a celui de l’Afrique", assène, sans ambages, Zhaou Changrui, principal analyste risque de la Banque chinoise d’export-import (China Eximbank). Il ajoute: "Le 21ème siecle est celui du développement de l’Afrique".

Tenus par l’un des responsables d’une institution dont la capacité financière est sans commune mesure avec ce que les pays Occidentaux peuvent mettre sur la table, et qui a déjà promis près de vingt milliards de dollars sur trois années, à partir de 2007, ces propos pèsent lourds.

Surtout qu’avec des réserves extérieures évaluées à 2700 milliards de dollars ainsi que sa position de premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine a les moyens de son ambition africaine. Serions-nous donc entrés dans un siècle sino-africain? Ce n’est pas impossible.

S’il se réalise selon des termes conformes aux intérêts du continent, cela participerait positivement du basculement de l’ordre international en cours autour des nouveaux pays émergents. En plus de la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Chili, la Corée du Sud, la Malaisie, ou encore l’Indonésie, pour ne citer que ceux-la, sont maintenant pris au sérieux.

C’est en leur sein que les alliances déterminantes du nouveau siècle ont déjà commencé à se nouer tandis que, confrontés pour la plupart d’entre eux à des déficits budgétaires, financiers et démographiques, les pays que l’on disait riches semblent perdre le…nord. Ceux du Sud, hier damnés de la terre, sont baignés par un optimisme qu’ils avaient rarement connu.

"La plus importante part de la production économique mondiale viendra du monde émergent dans une dizaine d’années", prédit le très sérieux magazine The Economist. Avant de préciser que le "reveil du reste" par opposition à l’Ouest, est une réussite remarquable.

Exit donc l’ordre ancien! Sa prévalence a été si longue qu’on pourrait oublier que ses principaux acteurs, Etats-Unis et ex-Union Sovietique, n’ont évité la confrontation qu’en raison de la dissuasion nucléaire en leur possession mais parce que leurs racines communes les rattachent au même héritage judéo-chrétien, comme l’atteste la réintégration rapide de la Russie dans le cénacle des pays industrialisés en 1991.

Loin d’avoir cependant consacré "la fin de l’histoire", selon la prédiction démentie de l’universitaire Francis Fukuyama, à savoir le triomphe universel du modèle néo-libéral, par opposition à la réalisation du rêve marxiste, la fin de la guerre froide n’a été que le début d’un long délitement de la toute puissance des Etats-nations issus du Traite de Westphalie de 1648 mais aussi celui des plus récents grands membres de ce Club, à commencer par les Etats-Unis d’Amerique. Leur évanescence se réalise en style puisqu’elles continuent d’afficher de grands airs malgré la pente déclinante qu’ils connaissent.

Deux exemples significatifs pour le continent africain le prouvent. D’abord celui de la Grande Bretagne: longtemps première puissance économique, maîtresse des mers, régnant sur un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, et à l’origine de la première révolution industrielle entre 1840 et 1860, son égo impérial ne se manifeste plus que dans des évènements festifs, comme les Jeux ou Sommets du Commonwealth, sa quasi banqueroute financière étant consommée!

Le naufrage, en plus grand apparat, qui concerne un autre grand pays colonisateur, si soucieuse de faire rayonner sa langue, a trait à la France. Sur sa béquille représentée par l’Organisation francophone, elle ne sent pas le syndrome du Titanic qui la menace. Comme le bateau tristement célèbre, si prés de la catastrophe, ni l’une ni l’autre ne semble mesurer le danger qui attend, au tournant.

Plus tard, les chroniqueurs pourront cependant rapporter qu’au moment du naufrage, des dizaines de Chefs d’Etat, des journalistes, invités de marque de tous bords et autres acteurs étatiques et non-étatiques, dont beaucoup ont été triés sur le volet, dans des règles fleurant bon le clientélisme, avaient tenus, inconscients, a être présents au sommet francophone, dans la Confédération Helvétique.

Et fermant les yeux sur la marche d’une institution peinant à traduire dans ses actes sa prétention démocratique, y compris dans la désignation de son leadership, et à se montrer moderne et efficace, les membres du Club francophone entreront dans l’histoire comme les témoins de la chute d’un grand rêve. Mais, malgré les petits fours, cocktails, sur fond de roulement de R, le climat délétère dans lequel le Sommet se tient n’a pu échapper aux rares lucides. La France, chef de file des pays francophones, ne vivait-elle, pourra-t-on dire demain, l’une des plus graves crises de son existence? Ses peurs et ses impuissances financières, son angoisse sociale et les blocages de sa réforme des retraites, bref sa chienlit se donnent à voir à travers le monde entier…

Le fracas accompagnant la chute de la France et de la Grande Bretagne dissimule à peine l’effondrement de deux autres grandes incarnations du monde Occidental: d’une part, une Allemagne en perte de repères identitaires, et, d’autre part, les Etats Unis d’Amerique, consommateurs de dernier ressort mais dont les poches sont trouées, qui s’apprêtent à retomber dans l’une des pires manifestations de leur volonté d’affirmation, le retour vers un isolationnisme que les élections à mi-mandat au Congrès vont consacrer, selon les prédictions de maints experts, dans quelques jours…

Le champ de ruines où se retrouvent plusieurs pays européens, en compagnie des Etats-Unis, s’étend à perte de vue. De l’Irlande à la Grèce, on en connait les causes. Elles sont profondes: incapacité à s’adapter aux évolutions d’un monde aspirant à plus d’égalité; absence de dirigeants visionaires, efficaces, capables à leur tête; inadéquation de leurs institutions privées et étatiques défigurées par l’ambivalence des politiques qu’elles poursuivent et par leur cachotteries; et peuples ayant perdu le sens du sacrifice ou du partage parce que des Trentes Glorieuses à la Grande Modération, selon le mot de Ben Bernanke, tout leur semblait permis…

Par l’égalisation des chances qu’elle permet, la mondialisation a donné le coup de grâce, à travers la course vers le bas parfois et les délocalisations souvent avantageuses aux pays en développement, comme l’illustre le merveilleux livre de Thomas Friedman, sous le titre "Le monde est plat".

Certes, les enterrer définitivement en ignorant leurs capacités de sursaut pourrait être dangereux mais, à l’évidence, du monde apolaire naissant, diagnostiqué par l’universitaire Bertrand Badie, leur principal atout ne tient plus qu’à leur capacité de nuisance. Par leur supériorité militaire et leur main-mise sur les institutions multilatérales de l’après deuxieme guerre mondiale, ils peuvent encore retarder la matérialisation de la transition vers un ordre international nouveau ou la rendre violente.

Mais ce ne serait là qu’un baroud d’honneur futile. D’où la nécessité de voir plus loin en examinant les perspectives associées à la relation du continent avec les pays émergents du Sud. Un bemol: elle ne peut pas être sans risque car les incompréhensions ne manquent pas. Surtout dans le lien avec la Chine, en raison des critiques qui l’entourent. Notamment la tentation d’une main-mise sur les ressources naturelles du continent, le non-respect des normes environnementales et de travail par beaucoup d’entreprises chinoises, la centralité des Etats dans ce dialogue, les différences de vue sur les questions démocratiques ou encore les maigres retombées de l’intervention de Pekin pour les populations africaines.

Parfois, le racisme de certains chinois, les conditions draconiennes de leurs employés africains, le mépris affiché par rapport aux règles locales, le mauvais traitement infligé à des immigrés africains en terre chinoise ou la violation des engagements contractuels sont aussi des obstacles sur la voie d’un vrai rapprochement sino-africain.

Pourtant, c’est précisément parce qu’il y a une claire conscience, coté africain, de l’existence de ces lacunes, mais aussi des potentialités contenues dans la volonté de la Chine de faire du continent africain un partenaire stratégique que l’Afrique doit pouvoir bâtir du solide avec elle.

Aucun africain sérieux ne peut voir ce que la Chine a réalisé ces trente dernières années dans la voie de son redressement économique sans penser que le continent africain ne peut pas en tirer d’utiles leçons. Du reste, de nombreux acteurs parasitaires comme la Banque mondiale, le FMI, ou les pays Européens, le comprennent qui manifestent leur empressement à vouloir se poser en ‘’conseillers’’ du dialogue sino-africain.

Ils vont jusqu’à s’inscrire dans le sillage de son leadership conceptuel en reprenant les idées qu’elle met en avant, y compris le financement des infrastructures, les financements innovants (troc!), ou encore la structuration du dialogue autour de rencontres au sommet, quitte, pour ce qui est de l’Union Europenne, à mettre sous le boisseau son opposition à la participation de certains dirigeants africains, comme Mugabe, aux rencontres qu’elle organise avec l’Afrique.

Mais leur activisme n’est pas innocent. Ce faisant, ils tentent de s’opposer à ce que les africains engagent une relation directe avec la Chine afin de comprendre comment elle a réussi sa révolution nationale contre les forces étrangères, notamment Occidentales mais aussi japonaises, avant de s’engager a réformer son économie longtemps sous leur joug avec la complicité de leurs relais locaux, les fameux compradores.

Bien entendu, ce n’est pas par philantropisme que la Chine clame sa volonté d’entrer dans une relation stratégique avec l’Afrique. C’est qu’elle sait qu’en l’absence de ressources naturelles dans son sous-sol, mais aussi des risques inflationnistes et d’appréciation monétaire liés à l’accroissement de sa demande intérieure, pour juguler les obstacles à sa strategie d’exportation qui fut longtemps le moteur de sa croissance à deux chiffres, il lui faut un allié pouvant lui apporter ce qui lui manque. Marché d’un milliard d’habitants, espace démographique dynamique, et l’un des derniers bastions de terres arables, l’Afrique peut être son complément voire son complice, dans une entreprise de co-développement.

C’est pourquoi, elle la prend au sérieux et que sa stratégie envers elle est si bien structurée. Outre un Livre Blanc, publié en Janvier 2006, elle s’articule autour du Forum de coopération Chine-Afrique, d’investissements massifs, d’invitation d’acteurs étatiques et non étatiques, de début de dialogue avec les intellectuels du continent, de mise en place d’un centre d’exposition des produits commerciaux africains à Yiwou, non loin de Shangha, et la liste est loin d’être complète.

De ce pays qui fait vivre décemment 1,3 milliards d’êtres humains, dorénavant forte de sa respectabilité, surtout économique, l’Afrique peut apprendre beaucoup. Elle ne ferait là que suivre le regard des autres acteurs du monde, à commencer par les Etats-Unis, qui savent maintenant que le centre de gravité de l’action internationale se retrouve ici.

Ce n’est pas sans raison que les appels à la réévaluation de la monnaie chinoise, le Remnimbi, se multiplient, comme naguère celle du Japon fut forcée à le faire lors des Accords du Plazza Hotel en 1985; que le Nobel de la Paix est attribué cette année a un dissident chinois; qu’autour d’elle se forment des alliances encouragées par les Etats-Unis pour la contenir; ou enfin que des voix s’élèvent de partout pour la supplier de soutenir davantage la demande internationale, accessoirement en tandem avec les autres nouveaux acteurs du développement international, dont l’Afrique, qui n’est pas cette-fois ci prise à la légère.

L’histoire des transitions entre puissances émergentes et déclinantes n’a jamais été tranquille. Celle qui voit la Chine s’installer en première ligne ne sera donc pas facile. Mais déjà, l’Afrique ne peut plus attendre plus longtemps pour se doter d’une réponse crédible pour ne pas se retrouver avec la part congrue de ce que Pékin qualifie de partenariat gagnant-gagnant. Car au delà de la Chine, c’est toute une nouvelle doctrine africaine des relations internationales qui s’offrent à la vue: il s’agit de mettre le cap vers le Grand Sud, chaud et ensoleillé, l’avenir du monde!

*Journaliste sénégalais et consultant, Adama Gaye est l’auteur de "Chine-Afrique: Le dragon et l’autruche". actuellement, il est chercheur invite de l’Universite de Pékin.
adamagaye@hotmail.com


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