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Koureyssi Bâ: le retrait d’un ascète (Hommage)

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Nous vous proposons cet hommage à l’avocat sénégalais Me Cheikh Koureyssy Ba, décédé le 26 mars 2025. Le texte est publié avec l’aimable permission de son auteur.

Par Adama Gaye*

Pour une fois, à l’aube, sur ta natte de prières, tu n’y seras pas, marmonnant des houn, houns à qui vient t’y déranger alors que tu écrases pieusement les perles de ton chapelet. C’était ton immuable rituel. Auquel tu sacrifiais journellement. Sans jamais y déroger ! Tu le faisais pour ton Seigneur, son Prophète Mahomet (PSL), mais en tant que fervent Talibé Cheikh que tu étais.

Tu fus un disciple de Seydi Babacar. Tes origines familiales te rattachaient directement à la grande famille religieuse des Sy. D’où ton engouement pour les wirds.

À la place de la natte, te voici, Cheikh Koureyssi Bâ, aujourd’hui, dans une posture qui ne te ressemble pas. Inerte. Dans une morgue ou la soute d’un avion à défaut d’un corbillard dans l’attente de ta mise en terre. Une vie se refermera sous les mottes qui viendront couvrir ton corps dans le linceul blanc qui sera ta dernière tenue terrestre. Mais, quiconque te connaît sait que tu te préparais à cette autre vie céleste que tu vas y inaugurer !

Ta mort brutale et qui a pris de court le Sénégal entier fait déjà les choux…sombres des médias locaux. Les témoignages fusent de partout. Dont ceux du Président, du PM, du Barreau, mais aussi de toutes les autres couches de la société.

Comment ne me joignerai-pas à ce chœur qui te pleure?

Cela fait une quarantaine d’années que je te connais. Les années estudiantines militantes. Celles politiques de braise où nous fûmes à l’avant-garde sur les barricades quand il fallut faire de la castagne pour imposer la démocratie et ses libertés. Combien de jeunes savent que tu le payas de 6 mois de prison pour avoir défié le pouvoir socialiste d’alors ? Puis tu vins me voir à Lagos, logeant chez moi, quand j’y fus le Directeur de la Communication de la Cedeao. Nos soirées pleines de rires me reviennent en tête. Je revois encore tes éclats de rires lorsque je te faisais des mayés qui ne t’ont plus jamais quitté.

En 1996, alors que le pouvoir socialiste t’avait attiré vers lui pour animer une nouvelle publication Feu Vert, sur le modèle du journal Sopi du Pds dont tu fus le flamboyant et talentueux Dirpub, j’avais vu en toi une passerelle multi-services.

Tes anciens adversaires admettaient là, en te recrutant, ton talent de redoutable polémiste. Quelle meilleure signature que la tienne pouvaient-ils espérer dénicher alors qu’ils se trouvaient sous les attaques d’une opposition ragaillardie, qui les sentaient enfin prenables.

C’est aussi en ces temps d’un Sénégal se couvrant des couleurs tonifiantes du pluralisme politique que tu insistas pour me faire rencontrer Ousmane Tanor Dieng tout puissant Ministre des Affaires Présidentielles.

L’interview que je fis avec lui paru en novembre 1996 en couverture de Jeune Afrique.

Dans un contexte de pré-transition à la tête du pays et de guerre de succession déjà pour remplacer Abdou Diouf, un tollé général en découla parce que l’interview avait évoqué le…destin que Tanor plaçait en Dieu.

Le Khoureyssi que j’ai connu est un être multidimensionnel. Dans la lignée de Mao, Marx, Marcuse et de cette tentative du dernier de camper la multiplicité en l’homme.

Je découvris tes nombreuses vies. Dans la foulée de la démocratisation des pays africains au sortir de la guerre froide, surgit d’abord l’avocat des grandes causes, se démultipliant de Bamako à Abidjan, Conakry, dont les effets de manches dans les prétoires en bluffèrent plus d’un. Tu y acquis le surnom de Vergès africain. Le Malien Moussa Traoré, l’Ivoirien Laurent Gbagbo ou encore le Guinéen Lansana Conté, aux parcours et positions diamétralement opposés, entre militarisme, populisme, leadership aussi brutal que bon père, furent parmi tes clients.

Alors que tout le monde s’imaginait que tu roulais sur l’or en les fréquentant, il n’en fut rien. C’est que déjà, en toi, le bon samaritain perçait : Baxna, c’est pas grave, préférais tu dire à ceux qui devaient te payer tes honoraires. Tu les quittais sans qu’ils réalisent que tes poches étaient…vides alors qu’ils te voyaient partir, digne, quand ils restaient sur des monticules d’argent.

« Je ne suis pas un homme de pouvoir », m’as tu écris dans l’un de nos derniers échanges épistolaires. Tu aurais pu ajouter : « ni d’argent ! ».

Homme de devoir, tu l’as été. « Défendre est mon sacerdoce », m’as-tu dit. Comment quiconque au Sénégal pourrait en douter ? Pas moi, en tous cas.

Je garderai, à preuve, toujours, le souvenir de ce 29 juillet 2019, lorsque la police politique du Sénégal était venue me cueillir pour me jeter dans une piécette obscure de la tristement lugubre division des investigations criminelles (Dic) au motif illégal que j’avais offensé l’alors Président, Macky Sall, dont nul ne doute plus qu’il fut un brigand.

En cette matinée où je vis l’Etat Sénégalais vaciller sur ses fondements constitutionnels, tu fus le premier, tropédo vissé sur la tête, taille d’échassier, démarche ondulante, à venir m’y retrouver. Je t’entends encore me disant, tout de go : allons en parler à Touba et Darou Salam, portons le dossier à la cour de justice de la Cedeao ou encore, t’étranglant de rage, hurlant ton dépit de me voir là assis sur une banquette depuis 4 heures sans que mes geôliers ne me signifient la raison de ma capture. « Les salauds », s’écrias-tu, « cherchent des délits à te coller ».

Comment pourrais-je oublier les 53 jours où avec d’autres remarquables avocats, tels Abdoulaye Tine, Mamadou Cory Sène, Souleymane Soumaré, Adja Diallo, Cheikh Ahmadou Ndiaye, Kerfallack Senghor du Cabinet Mame Coumba Diop et Seydou Diagne, tu participas de main de…maître à ma défense.

Ce furent des moments heurtés. Votre collectif découvrit qu’il avait affaire à un homme habité par un esprit de contradiction qui, comme tu le soulignas dans la préface de mon livre consacré à ma détention, prenait toujours le contrepied de ce qu’on voulait lui faire faire. Quand j’annonças à la cantonade que j’entrais en grève de la faim, tu accourus à la prison, dévasté. Lorsque tu me vis, souriant, espiègle, tu lâchas : do nitt !

Tu vins me prendre à ma sortie de cette capture par l’État mafieux. Témoin de mes premiers moments de liberté retrouvée. Et des mots pour m’adresser au peuple.

Au fil des péripéties, je n’avais d’autre option que de connaître mon Khoureyssi. Je découvris aussi qu’il fut un orfèvre du ballon rond. Qui fut de l’équipée de nos joueurs du milieu scolaire dont on chante encore les exploits sur les pelouses de Montevidéo, en Uruguay.

Je relève qu’il n’a pas que fait des études de droit mais également de gestion au prestigieux Cesag avant de se placer en première ligne pour défendre les causes d’une nouvelle classe politique, actuellement au pouvoir, dont peu de membres savent qu’en combattant à leurs côtés le régime de Macky Sall, il les aidait à faire tomber un homme dont il fut l’un des rares amis à être allés demander la main de son épouse, Marième Faye Sall.

Khoureyssi est un ascète. Un homme entièrement dévoué à Dieu. Et comment ne pas l’imaginer le remerciant à profusion pour l’avoir rappelé auprès de Lui en ce mois béni de Ramadan?

Parler de lui sans évoquer son talent littéraire et sa culture générale encyclopédique serait un crime de lèse-talent. Sa plume fut dense et scintillante. Pour en attester, l’un des hommes véritablement forts du pouvoir actuel, me rapporta-t-il, en guise de fine médiation, avait l’habitude de lui dire : « Toi et le Doyen Adama, vos plumes m’éblouissent », avant d’ajouter : « le grand lui il tire à bout portant ! ».

Être sociable, avocat au long cours, sachant les rites de sa profession, saluant toujours chapeau bas ses collègues quand il évoque les interventions qu’ils faisaient ensemble pour des causes démocratiques, Maître Cheikh Khoureyssi Bâ fut, de bout en bout, un être exceptionnel.

La nation doit le proposer aux futures générations d’avocat.e.s et son nom devrait figurer sur le fronton d’un édifice public pour servir de repère.

À sa charmante et douce épouse, Adji, à sa fille, Anna, à toute sa famille, je tiens ici à vous présenter mes plus attristées condoléances en plus des prières que je lui dédie pour son repos éternel au meilleur des paradis.

Tel était cet homme multidimensionnel, un monument de l’action civique, que le Sénégal a perdu hier…

*Adama Gaye, auteur d’Otage d’un Etat (Éditions l’Harmattan à Paris). Préface par Me Cheikh Khoureyssy Bâ.


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