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Le blues des jeunes chercheurs africains

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Jeune chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Mamadou Yero Baldé, 27 ans, dresse un bilan sévère de l’état de la recherche au Sénégal. En cause, un manque crucial de moyens. Conséquences : la documentation est souvent datée, les ressources électroniques payantes et les laboratoires de recherches pas bien équipés.

« Nous n’avons pas de revues pour vulgariser notre travail, et le peu de colloques organisés ne nous permettent pas d’échanger avec les autres chercheurs ouest-africains », confie le jeune homme dans un entretien à Ouestafnews.

M. Baldé, qui prépare une thèse comparant l’enseignement supérieur colonial et post-colonial au Sénégal, regrette que l’essentiel du financement des bourses de recherche viennent de l’extérieur. A l’instar du puissant programme américain Fulbright. « Celui qui paye les violons choisit la musique », plaisante-t-il, refusant que ses recherches subissent l’influence occidentale.

Persuadé que les institutions de recherche supérieures locales peuvent contribuer au développement socio-économique de la sous-région, le jeune chercheur déplore que le gouvernement sénégalais n’ait pas confiance en l’expertise locale.

« Nous avons le complexe de l’étranger, nous aimons le prestige lointain », analyse Baldé. Pourtant, d’après lui « il faut se départir de ce développement par procuration et réfléchir par nous-même ». D’autant plus que les experts étrangers coûtent plus cher à collectivité.

Pour contrer cette tendance et développer une expertise locale à travers le renforcement de centres de recherche assez puissants, l’Initiative Think Tank (ITT) a été lancée pour soutenir des organismes de recherche ouest-africains pour les pousser à influencer les politiques locales.

Financé à plus de 113 millions de dollars canadiens par le Centre de recherches pour le développement international (Crdi, canadien), ainsi que par 4 autres bailleurs de fonds, ce projet vise à soutenir des institutions de recherches indépendantes afin de les pousser à peser sur les décisions politiques, explique à Ouestafnews Diakalia Sanogo, l’administrateur principal de du programme ITT.

Présente en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique de l’est et de l’ouest, l’ITT a accordé des subventions à onze organismes de recherche dans 6 pays de la sous-région (Bénin, Bukina-Faso, Ghana, Mali, Nigéria et Sénégal) pour une durée de 2 à 4 ans.

« Ce n’est pas seulement une aide financière que nous fournissons mais aussi un appui technique, avec un important suivi pour les aider à renforcer leur capacité organisationnelles », témoigne M. Sanogo. D’après lui, la plupart de ces organismes souffrent de problèmes structurels. « Nous les poussons à créer des conseils d’administration et à développer des départements de communication », explique-t-il.

En mettant l’accent sur le dialogue avec les gouvernements, la société civile et le secteur privé, les responsables de l’ITT souhaitent que les thèmes de recherche soient déterminés en fonction des besoins du pays et que les résultats soient mieux diffusés et utilisés afin de participer au développement socio-économique. La formule semble porter ses fruits, selon ses promoteurs qui citent comme exemple le Centre d’études, de documentation et de recherches économiques et sociales (Cedres) du Burkina-Faso.

Soutenu par l’ITT depuis 3 ans, le Cedres « s’est considérablement amélioré », selon M. Sanogo.
Pour exemple, le Cedres a lancé début juillet plusieurs initiatives dans le cadre d’un projet pour améliorer les conditions de travail des jeunes chercheurs.

« Nous avons décidé de créer un répertoire des jeunes chercheurs à travers une plateforme interactive, qui devrait à terme prendre une dimension sous-régionale », affirme le docteur Kariadia Sanon, chercheuse au Cedres, interrogée par Ouestafnews.

Le centre organise également une semaine « du débat politique » où les résultats de recherche sont présentés aux groupes gouvernementaux pour les pousser à investir car « le budget national ne finance quasiment pas la recherche ».

Malgré la récente création d’un ministère de la Recherche au Burkina, il subsiste, d’après Mme Sanon « un manque de dialogue entre les dirigeants politiques et les chercheurs, ainsi qu’entre ces derniers et les acteurs sur le terrain ».

Outre les difficultés financières et structurelles, les chercheurs d’Afrique de l’ouest souffrent d’un manque de reconnaissance.

Pour la Burkinabé Sanon, « le travail de recherche n’est pas du tout considéré socialement ». De ce fait « les jeunes chercheurs sont employés comme fonctionnaires au sein de nos ministères et l’on n’exploite pas leurs capacités ». Ce système nuirait au développement de la recherche.

Un constat partagé par le professeur Abderrahmane Ngaidé, du département d’histoire de l’Ucad qui n’hésite pas à affirmer d’emblée qu’à cause du manque de moyens « les jeunes chercheurs préfèrent choisir une orientation qui leur apportera un bon salaire, plutôt que de continuer leurs thèses ».

D’après le professeur qui s’est entretenu avec Ouestafnews, les étudiants préfèrent intégrer l’Ecole Normale Supérieure pour avoir le « meilleur grade » plutôt que de se lancer dans la recherche. Selon lui, il faudrait inclure une clause sociale destinée à financer la recherche dans l’attribution des marchés publics afin de pallier au manque d’argent.

Face à ces constats pessimistes, les résultats obtenus par l’ITT redonnent un peu d’espoir. Par exemple, au Mali, le Groupe de recherche en économie appliquée et théorique, qui a bénéficié pendant deux ans du soutien de l’Initiative, est désormais complètement autonome. « Le bilan est positif, malgré quelques problèmes organisationnels, ils ont gagné en visibilité et en crédibilité sur la scène internationale et leurs recherches sur la pauvreté font autorité », se réjouit M. Sanogo.


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