Ouestafnews – Les personnes vivant avec un handicap sont quasiment absentes de la fonction publique et des entreprises privées au Burkina Faso. Pourtant des instruments juridiques visant à les protéger existent, mais ceux-ci sont rarement appliqués.
Wend-Yam Aristide Kévin Ramdé, 26 ans. Suite à un accident de la circulation le 14 mai 2005, le jeune Burkinabè, se déplace désormais à l’aide de deux béquilles et de prothèses aux jambes.
Malgré ses diplômes d’enseignement supérieur en finance-comptabilité et audit, il a raté plusieurs opportunités de stage et d’emploi. Il ne se souvient pas avoir été explicitement rejeté à cause de son handicap. Il attribue plutôt sa malchance au manque de rampes d’accès dans les bâtiments où il devait officier.
« Quand vous déposez votre dossier et qu’on découvre que vous êtes une personne handicapée, on vous dit de repartir et qu’on va vous appeler. Ou bien, vous faites l’entretien et puis, pas de suite », témoigne le président de l’Association des élèves et étudiants handicapés du Burkina Faso, Timothée Ouédraogo. Selon lui, plusieurs étudiants vivant avec un handicap font fréquemment face à ces situations.
La quasi-totalité des personnes vivant avec un handicapé sont confrontées à des difficultés d’accès à l’emploi. Qu’ils aient un diplôme ou pas. Votée pour corriger de tels dysfonctionnements et portant protection et promotion de leurs droits, la loi 012 du 1er avril 2010, n’a pas encore trouvé de solution à ce problème de société.
Douze ans (2010 -2021) après l’entrée en vigueur de celle-ci, seulement 244 personnes en situation de handicap ont été recrutées sur 106.963 postes réservés à cette catégorie, selon les chiffres officiels du ministère en charge de la Fonction publique.
Gaël Romba, connu sous le sobriquet de King Le Rêveur, est étudiant en première année de philosophie. Mais il a perdu la mobilité de son pied droit. Parallèlement à ses études, il est artiste slammeur et formateur en art oratoire. Il évoque le handicap et l’ignorance de la loi par certains employeurs pour justifier le chômage des personnes vivant avec un handicap.
Depuis l’adoption de la loi, il a fallu attendre quatre ans pour qu’elle produise ses premiers effets. La fonction publique a enregistré ses premières recrues issues de cette couche sociale en 2014, à travers un recrutement spécial de 97 personnes par le ministère en charge de l’Education nationale.
Après cet épisode, Il n’y a plus eu de recrutement en faveur des personnes handicapées jusqu’en 2017, année pendant laquelle cette couche sociale a eu, à nouveau, le droit de postuler aux concours de la Fonction publique.
Le ministère en charge de la Solidarité nationale et de l’Action humanitaire justifie cela par la non application systématique de la loi et « surtout la faible inclusion du handicap dans les politiques, programmes et projets de développement ».
Depuis 12 ans, les personnes vivant avec un handicap n’ont jamais pu obtenir 1% des postes à pourvoir au niveau de la Fonction publique. Pourtant, la loi de 2010 portant protection et promotion de leurs droits prévoit un quota de 10 % qui leur est réservé sur les emplois de la fonction publique et les établissements publics de l’État, selon leur qualification.
Contacté, le ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale, Bassolma Bazié, n’a pas apporté des éléments de réponse aux différentes questions d’Ouestaf News, quant à ce non-respect de la loi par l’Etat lui-même.
La majorité des recrutements se font au profit des ministères en charge de l’Education nationale, de l’Economie et des Finances, de l’Action humanitaire, des Droits humains, ainsi que du ministère en charge de la Santé. Les niveaux concernés sont majoritairement le Brevet d’étude du premier cycle (BEPC), le Baccalauréat et la Licence.
Ces cinq dernières années, de 2017 à 2021, un total de 186 personnes en situation de handicap ont été recrutées dans la Fonction publique, à l’issue de concours dédiés à cette catégorie de personnes, selon les chiffres officiels.
Ouestaf News n’a pas pu obtenir des informations relatives au recrutement dans les entreprises privées. Mais le nombre de personnes concernées est insignifiant, selon le président de l’Association des élèves et étudiants handicapés du Burkina Faso, Timothée Ouédraogo. Il confie que le décret du 17 juillet 2009 portant fixation des conditions d’emploi et de formation professionnelle n’est pas respecté. Ce décret prévoit que toute entreprise employant au moins cinquante salariés réserve au moins 5 % des postes à pourvoir à des personnes vivant avec un handicap.
Des préjugés liés au handicap influencent leur recrutement : le manque de confiance en elles-mêmes et la perception populaire qui les considère comme une charge sociale, déclare le Secrétaire permanent du Conseil national multisectoriel pour la protection et la promotion des droits des personnes handicapées (Comud/handicap), Lassimane Kounkorgo.
Des aménagements spécifiques aux types de handicap entraînent des coûts supplémentaires, freinant l’ardeur des décideurs en ce qui concerne l’application de la loi, ajoute-t-il. C’est le cas de l’intégration de l’écriture braille dans la formation professionnelle, des bâtiments avec des rampes d’accès, des fauteuils roulants et des outils de communication adaptés.
Le faible niveau d’étude et le manque de confiance des employeurs sont des obstacles à leur employabilité, argumente Zakaria Soré, enseignant chercheur en sociologie à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou.
Les personnes vivant avec un handicap, âgées de deux ans ou plus en 2019 est de 184.975 sur une population totale de 20.505.155 habitants, rapporte le cinquième recensement général de la population et de l’habitation (RGPH), publié en juin 2020.
L’auto-emploi, une perspective
Face aux difficultés d’être recrutées dans la Fonction publique ou dans les entreprises privées, les personnes vivant avec un handicap se tournent de plus en plus vers l’auto-emploi. Un constat fait dans la ville de Ouagadougou montre qu’elles exercent surtout les professions informelles de cordonnier, de couturier, d’artistes plasticiens, de menuiser, de producteurs de légumes ou de petits commerçants.
Rares sont celles qui se lancent dans des activités entrepreneuriales bien structurées, faute de moyens financiers.
L’État et ses partenaires tentent de faire de l’auto-emploi une perspective pour elles. À travers le Fonds d’appui au secteur informel (Fasi), ils ont financé 57 projets pour un montant de plus de 33 millions FCFA entre 2015 et 2017, selon un rapport du gouvernement, soumis en avril 2020 aux Nations unies portant sur l’application de l’article 35 de la Convention relative aux droits humains des personnes vivant avec un handicap.
En 2020, 5.083 personnes vivant avec un handicap ont bénéficié, chacune, d’une subvention de 200.000 FCFA, selon des chiffres fournis à l’époque par l’ancienne ministre de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire, Hélène Marie Laurence Ilboudo.
En dépit de ses efforts, l’auto-emploi ne fournit pas encore une réponse significative et durable au chômage des personnes vivant avec un handicap à cause de l’insuffisance des crédits qui leur sont alloués.
Pour le Secrétaire permanent du Comud/handicap, on pourrait s’appuyer sur trois leviers pour promouvoir l’accès à l’emploi de ces personnes marginalisées par l’Etat : l’éducation inclusive, la prise en charge sanitaire et le leadership des personnes vivant avec un handicap. Tout un chantier !
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