Ouestafnews – Plus de six millions d’électeurs sont attendus aux urnes ce 24 février 2019 pour une élection présidentielle inédite. Pour la première fois dans l’histoire du pays, tous les candidats en lice ont dû passer par le filtre du parrainage par les citoyens, ce qui a eu pour effet de réduire considérablement le nombre de candidats. Un scrutin inédit aussi au regard de l’absence des partis politiques « historiques ». Pour le scrutin de ce 24 février, quatre candidats font face au président sortant Macky Sall.
« Vous avez cinq candidats (et on a) le temps d’écouter chacun et de bien analyser les discours, ce n’était pas possible avant ». Modi Diaw qui s’exprime ainsi est un vieux retraité de la fonction publique sénégalaise qui donnait son opinion sur le parrainage, nouvellement introduit dans le système électoral sénégalais. .
On est dans le populeux quartier de Golf-Sud, dans la commune de Guédiawaye (banlieue de Dakar). C’est ici que vit Mody Diaw, qui estime que le parrainage est « venu à son heure », répondant aux questions d’Ouestaf News, au moment où le pays était en pleine campagne électorale.
Cette a campagne a pris officiellement fin le vendredi 22 février à minuit et a vu chacun des candidats parcourir le pays pour étaler leurs promesses.
Pour ce 24 février, ils seront cinq sur la ligne de départ. La présidentielle de 2000 comptait huit candidats. En 2007, ils étaient quinze et quatorze en 2012. Le parrainage est passé par là. Mais son introduction dans le système électoral est loin de faire l’unanimité. Tout le monde ne pense pas comme Modi Diaw.
Selon qu’on est partisan du pouvoir ou de l’opposition, l’appréciation est fort différente.
L’opposition et la société civile ont d’ailleurs vivement dénoncé le fait que le projet de loi ayant introduit le parrainage ait été adopté «sans débat», par la majorité parlementaire acquise au président sortant.
Si certains attestent de son importance dans l’assainissement du jeu politique, d’autres parlent d’un acte purement politique, voire mesquin et politicien.
Etudiant en droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Mayécor Mbodji, doute de la bonne foi du régime quand il parle de « rationalisation des candidatures », comme fondement du parrainage. «Pourquoi avoir attendu à quelques mois des élections pour l’introduire dans la précipitation ? Le président pouvait le faire deux ans auparavant, cela aurait permis d’avoir un débat inclusif », estime M. Mbodji.
Pour ses adversaires, le système des parrainages n’est rien d’autre qu’un moyen pour le président sortant Macky Sall de barrer la route à autant de candidats que possible pour faciliter sa réélection. Certains commentateurs comme l’analyste politique Docteur Serigne Saliou Samb parlent même de « loi scélérate ». Des arguments auxquels les partisans du régime opposent aussi une question « d’équité », arguant que le parrainage existait déjà, mais était une obligation exclusivement imposée aux candidats indépendants.
Les exigences du parrainage étaient plutôt corsées, le nombre de signatures requis devait représenter entre 0,8 et 1% du fichier électoral qui compte 6 millions d’inscrits. Résultats des courses : 22 prétendants à la magistrature suprême ont été recalés !
Arrivée des novices, absence de femmes
« Ce qui interpelle (…), c’est l’absence de femmes et de jeunes dans un pays où l’Assemblée nationale est pourtant composée de 43 % de femmes et que les moins de 40 ans représentent 70 % de la population », déplore dans une tribune Fary Ndao, jeune auteur et activiste sénégalais, aux ambitions politiques affichés, aux publications très suivie sur les réseaux sociaux.
Sur les 22 recalés, figurent trois femmes dont l’avocate Aissata Tall Sall, (dissidente du Parti Socialiste, mais qui a finalement retrouvé ses camarades de partis dans la coalition de Macky Sall), et la Professeure d’université Amsatou Sow Sidibé, qui était déjà candidate en 2007.
Mais l’exclusion des femmes du jeu politique n’est pas une spécificité sénégalaise. Dans nombre de pays de la sous région, leur poids politique est inversement proportionnel à leur poids démographique.
Selon des chiffres de la direction Afrique de l’Ouest d’OnuFemmes, la représentation des femmes n’est que de 15% dans les assemblées élues et de 17% dans les gouvernements ouest africains. Dans le monde entier, les femmes représentent 23% des parlementaires, 6% des chefs d’État et 5% des chefs de gouvernement, selon la même source.
Macky et sa coalition
L’alternance survenue en 2012, et qui a porté le président Sall au pouvoir, a aussi constitué le point de départ d’une nouvelle configuration de la scène politique.
La coalition qui soutient le président Macky Sall ne s’est pas défaite après la conquête du pouvoir, ce qui a produit un fait inédit : à savoir l’absence pour la première fois depuis l’indépendance d’un candidat du Parti Socialiste (PS).
Le P.S., qui a gouverné le pays de l’indépendance à l’an 2000, a toujours présenté un candidat à la présidentielle. Cette fois-ci, fait inédit, il soutient le président sortant Macky Sall. Aujourd’hui dirigée par Ousmane Tanor Dieng, et largement affaiblie par des batailles internes, la formation des ex-présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, est devenue un fidèle soutien et allié de l’actuel au parti au pouvoir, l’Alliance Pour la République (APR, fondée Macky Sall).
Autre parti historique qui ne sera pas sur la ligne de départ, le Parti démocratique sénégalais (PDS) qui, de sa création en 1974 à la victoire historique de son fondateur Abdoulaye Wade à la présidentielle de 2000, a fortement marqué la vie politique sénégalaise. Pour s’être obstiné dans son choix de présenter Karim Wade, fils de l’ex-président, le parti s’est vu exclu de la course avec la disqualification de son candidat par le Conseil constitutionnel.
Au regard de sa condamnation à six ans de prison pour enrichissement illicite, le Conseil constitutionnel a estimé que M. Wade fils « n’a pas la qualité d’électeur au sens des articles L.27 et L.31 du Code électoral et ne peut faire acte de candidature » à la présidentielle du 24 février 2019. Ce parti est également très affaibli depuis sa chute en 2012.
De naissance beaucoup plus récente, l’Alliance des Forces du Progrès (AFP, née d’une scission d’avec le PS en 1999) n’a pas non plus présenté de candidat, son fondateur Moustapha Niasse, actuel président de l’Assemblée nationale, préférant s’aligner derrière le président sortant et continuer le compagnonnage qui lui a permis d’occuper le perchoir de l’Assemblée nationale.
Respectivement récompensés par les postes de président du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) et celui de président de l’Assemblée nationale, Dieng (71 ans) et Niasse (80 ans) qui sont à la fin de leur carrière politique sont demeurés fidèles à Macky Sall, au risque de saborder leurs propres partis, empêtrés dans des batailles de positionnement qui a débouché sur des dissidences.
L’absence de candidatures du PS, du PDS et de l’AFP, combinés à l’emprisonnement de Khalifa Sall (socialiste, ex-maire de Dakar) et l’« exil » de Karim Wade, fils de l’ex-président Wade, ont laissé la place à l’émergence de nouveaux candidats.
Ainsi Ousmane Sonko (44 ans), El Hadji Issa Sall (62 ans) et Madické Niang, un transfuge du Parti démocratique sénégalais (PDS) se retrouvent parmi les principaux protagonistes de ce scrutin. Tous les trois participent pour la première fois à une présidentielle. Ils feront face à deux habitués : Macky Sall (58 ans) et surtout Idrissa Seck (60 ans) qui en est à sa troisième tentative après ses échecs successifs de 2007 et 2012.
Ironie de l’histoire : aussi bien Macky Sall qu’Idrissa Seck sont des anciens du PDS qui ont fini par se séparer de leur « père » et mentor Abdoulaye Wade pour fonder leurs propres formations. Tous deux ont occupé des postes de ministre sous Wade et ont eu aussi à lui servir de premier ministre.
Promesses
Lors de la campagne, le président sortant a choisi d’axer son discours sur la continuité économique avec la poursuite de la phase 2 de son Plan Sénégal Emergent (PSE) pour lequel il a obtenu plus 7000 milliards FCFA de promesses de financement. Mais cette vision ne convainc pas tout le monde.
«Nous sommes dans un contexte où la dette publique gonfle, on nous parle de phase 2 du PSE alors que le bilan de la phase 1 n’est pas fait», souligne Meissa Babou, économiste et enseignant à l’UCAD. Cette politique axée sur les infrastructures, grandement vantée par les partisans du président sortant, est fortement critiquée par ses opposants, sous prétexte qu’il s’agit là de « réalisations » qui restent loin des préoccupations basiques des couches les plus défavorisées de la population.
« Les infrastructures c’est bien, mais j’aimerais plus voir le gouvernement sur le terrain social, avec la baisse (du prix) des denrées de première nécessités, l’emploi des jeunes », pense Abou Lahat Seck, agent de maîtrise dans le secteur du bâtiment, résidant de Bargny, à quelque 35 Km de Dakar. Riveraine du quartier Guedji à Bargny, Haby Cissé est une restauratrice, tout comme Lahat Seck, elle juge capitale pour le prochain président de «faciliter aux Sénégalais, le coût de la vie». « La baisse des prix du loyer a été évoqué par le président Macky, finalement cela n’a rien donné, il faut qu’on revienne dessus », souhaite-t-elle.
Elle faisait référence à une mesure prise en 2014 par l’actuel chef de l’Etat pour baisser les prix des loyers. Une initiative qui de l’avis des observateurs n’a pas donné les effets sociaux et économiques escomptés du fait d’un manque de rigueur dans son application.
En sillonnant l’intérieur du pays, le président sortant, a aussi souligné que la jeunesse constitue une priorité dans la poursuite du PSE. Selon l’Agence nationale de la Statistique et de la démographie (ANSD), 63% de la population sénégalaise est âgé de moins de 25 ans.
Ousmane Sonko propose dans son livre programme dénommé : « Solutions », un « modèle endogène ». Un modèle qui passe par le renforcement de l’agriculture qui doit être « le fer de lance de l’industrialisation du pays ». Le candidat Sonko plaide pour un « paysage agricole structurée autour de moyennes exploitations familiales modernisées », un modèle qui doit à terme migrer vers un « agrobusiness local, porté par des nationaux ».
Critiquant l’endettement progressif du pays, l’ex-inspecteur des impôts compte mobiliser davantage les ressources internes pour financer les projets de développement, ce qui passe selon lui, par un élargissement de l’assiette fiscale.
Cette question des finances publiques est aussi au cœur des promesses économiques du candidat Idrissa Seck, qui compte mettre en place une fiscalité qui va « protéger les faibles et faire contribuer les forts sans les asphyxier ». Une orientation qui va se traduire par « une nouvelle fiscalité concernant les services financiers, les assurances et les télécommunications », et un « nouveau régime fiscal » pour les secteurs concernant les activités agricoles avec l’agrobusiness, l’immobilier, le foncier, le secteur pétrolier et minier. Seck propose aussi, « une fiscalité pour la santé publique » qui vise des produits comme le tabac, l’alcool, les cosmétiques entre autres.
Le Tourisme et l’Artisanat trouvent aussi une bonne place dans le programme économique de M. Seck. Pour ce dernier, qui promet « 20.000 lits supplémentaires », le tourisme doit contribuer davantage au produit intérieur brut (Pib) et cela passe par une « diversification des offres » et des « établissements hôtelières répondant aux exigences du 3è millénaire ».
Les mêmes ambitions sont nourries par M.Seck pour l’Artisanat qui joue un « rôle très important dans la prise en charge des jeunes rejetés par le système éducatif formel ». Ainsi propose-t-il une réforme comportant une douzaine de points dont entre autres, la création d’un fonds national d’appui à l’Artisanat, création d’une école d’arts et des métiers, favoriser un meilleur accès des artisans à la commande publique.
Loin d’être détaillé comme chez ses concurrents cités plus haut, le candidat Madické Niang a rendu public un programme de cinq pages scindés en deux parties où il énumère 28 « mesures phares » et 19 « mesures urgentes ». Qu’en est-il de l’économie ?
« Une partie tirée des fonds tirés de l’exploitation du pétrole, va permettre le financement de l’entreprenariat des jeunes à des taux bonifiés », souligne-t-il dans sa liste des mesures phares, à côté de la création d’un fonds spéciale pour l’entreprenariat féminine.
Madické Niang compte aussi faire profiter à l’état des envois de fonds de la diaspora à travers la création d’une « société de transfert de fonds ». Sans fournir plus de détails, Maitre Niang, promet de « réduire sensiblement le coût de la vie ».
Pour Issa Sall, l’heure est à la construction d’une économie « inclusive et durable » portée par un « secteur privé national fort ». L’agriculture et la pêche bénéficient d’une grande attention dans le discours programmatique de Issa Sall, ainsi prône-t-il une préservation des ressources en eau et un pacte avec les privés nationaux afin de développer les cultures fourragères conformément à la spécificité de chaque zone et de mettre en place des fermes intégrées dans toutes les communes.
Pour ce qui est d’un secteur comme la pêche, Issa Sall, plaide pour la renégociation des accords de pêche signés avec les étrangers et le renforcement de la pêche continentale. Cette modernisation de l’agriculture et de la pêche doit donner une étape suivante qui est selon le PUR, la transformation locale des produits.
La découverte de pétrole au Sénégal a suscité de vifs débats durant une bonne partie du septennat que le président sortant vient d’achever. Et naturellement la question est revenue avec force au cours de la campagne électorale. Les candidats Sonko, Niang promettent particulièrement une renégociation des contrats signés par le président sortant avec les multinationales.
Un élan que tempèrent cependant des observateurs qui rappellent que la renégociation est processus faisable mais très difficile dans la mesure où les multinationales signent des contrats qui comportent des clauses de stabilité.
Sur un autre registre, il est apparu au cours de cette campagne des discours sur la question monétaire, sans doute dicté par le contexte actuel marqué par des critiques exacerbées contre le Franc CFA. Il est reproché à cette monnaie léguée par la France d’être une des principales causes du retard économiques des pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa, 8 pays). Le candidat Ousmane Sonko, qui a le plus discouru sur la question, a promis une fois élu président de sortir le Sénégal de la zone Franc.
Un pas que le candidat Seck, lui ne franchit pas, en proposant une prudente critique de cette monnaie que certains qualifient de « relique coloniale ». « Une monnaie nationale stricto sensu n’est pas de notre point de vue à l’ordre du jour. Une monnaie communautaire régionale, en revanche, serait un bel instrument de développement économique », lit-on dans le programme d’Idrissa Seck.
MN/on
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