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Togo : la liberté de la presse en danger

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Ouestafnews – Le Togo s’est doté en 2020 d’un nouveau Code de presse dont les dispositions semblent préserver la liberté des journalistes et des médias. Que nenni. Les arrestations et détentions de journalistes s’y multiplient. En cause : l’usage des réseaux sociaux, exclus du champ d’application de ce nouveau code, soumis aux dispositions du droit commun.

« Les journalistes se posent des questions et ont peur ». Les propos sont de Loïc Lawson, président de l’Union de la presse francophone (UPF). Ils font suite à l’arrestation de trois journalistes. Une arrestation qui n’est pas sans causer « une certaine psychose » au sein de la population, selon le patron de l’UPF.

Depuis le 11 décembre 2021, les journalistes Ferdinand Ayité et Joël Egah sont sous mandat de dépôt à Lomé. Leur confrère Isidore Kouwonou a eu un peu plus de chance, il a été relâché après son interpellation, mais reste sous contrôle judiciaire, selon plusieurs sources contactées à Lomé et dans la diaspora togolaise dans la sous-région.

Les trois journalistes avaient été interpellés pour avoir critiqué deux ministres du gouvernement du Togo lors de l’émission « L’Autre journal », diffusée en ligne sur YouTube.

Ces arrestations ont suscité beaucoup de réactions au sein des organisations de défense des droits de l’homme et de protection des journalistes. Plusieurs personnalités du milieu des médias togolais ont également exprimé leur crainte quant à la sécurité des journalistes et à l’indépendance de la presse.

Ferdinand Ayité, directeur de publication du journal « L’Alternative » et Joël Egah, directeur de publication du journal « Fraternité », étaient tous deux invités de l’émission diffusée sur YouTube, « L’Autre journal » et présenté par Isidore Kouwonou. C’est dans cette émission que les journalistes ont tenu des propos jugés moqueurs à l’encontre de deux ministres du gouvernement togolais, en l’occurrence ceux de la Justice et du Commerce.

Pour Loïc Lawson, s’adressant à Ouestaf News, le plus inquiétant est le fait que les journalistes aient été arrêtés et mis en détention sur la base du Code pénal et non du Code de la presse togolais. En réalité, explique-t-il, les délits de presse sont dépénalisés depuis plusieurs années au Togo et le Code qui a été voté en 2020 est clair : plus aucun journaliste ne doit être emprisonné.

Mais une des insuffisances de ce Code réside dans le fait qu’il ne s’applique pas aux réseaux sociaux. L’article 3 du Code de la presse du 7 janvier 2020, précise que « les réseaux sociaux sont exclus du champ d’application du présent Code, lesquels sont soumis aux dispositions du droit commun ». Cette disposition est, en particulier, au centre de la polémique autour de la dernière vague d’arrestations de journalistes.

Pierre Agbanda, secrétaire général de l’Union des journalistes indépendants du Togo (Ujit) trouve qu’« il y a des dispositions qui inquiètent dans le nouveau code de la presse ».

Le sentiment qu’ont la plupart des journalistes à travers le pays est qu’ils sont « des prisonniers en sursis », ajoute M. Agbanda. D’où le souhait ardent des journalistes d’avoir « une relecture du Code de la presse, afin qu’ils soient jugés selon les règles de leur profession lorsqu’ils utilisent les réseaux sociaux dans le cadre de leur travail ».

Malgré ces déboires que subissent des journalistes, Loïc Lawson estime que « le Togo a fait beaucoup d’avancées sur la liberté de la presse (…) » car le  Code de la presse qui est appliqué est reconnu comme étant très progressiste par la population. Ainsi que le prouve la déclaration de la conférence des évêques du Togo qui réclame la libération des journalistes détenus. 

De son côté, Pierre Agbanda note que « le paysage médiatique togolais est très diversifié et les journalistes s’expriment librement à la radio, dans leurs écrits ».

Le sort des trois journalistes désormais, entre les mains de la justice relativise tout de même cette « liberté » et laisse penser une mainmise trop forte du pouvoir exécutif dans l’espace public.

Dès le lendemain de leur apparition sur l’émission, diffusée le 8 décembre, les deux journalistes se sont attirés les foudres de la Brigade de recherche et d’investigation (Bri) qui les a convoqués dans leurs locaux avant de les placer sous mandat de dépôt le 11 décembre. Depuis lors, Ferdinand Ayité et Joel Egah sont en détention.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Ferdinand Ayité se retrouve impliqué dans une telle affaire, lui qui faisait partie des journalistes dont les numéros étaient répertoriés et mis sur écoute par l’Etat via le logiciel d’espionnage Pegasus.

Ce nouvel incident fragilise un peu plus l’image de la liberté accordée aux journalistes dans ce pays.

Amnesty international a déploré la « détention arbitraire » des journalistes concernés. Selon l’organisme de défense des droits humains, « les propos tenus par ces deux journalistes ne devraient fonder ni leur arrestation ni poursuite pénale ». Amnesty considère également qu’au vu des nombreux incidents concernant des organes de presse au Togo, dont le journal L’Alternative plusieurs fois suspendu, « la liberté de la presse est en danger dans le pays ».

Dans le même élan, Reporters sans frontières (RSF) dénonce « ces détentions arbitraires » qui, « jettent un immense discrédit sur la politique des médias au Togo ». Le pays a d’ailleurs chuté dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, passant de la 71e place en 2020 à la 74e sur 180 en 2021.

Pour le Committee to protect journalists (CPJ, basé à New York), il n’y a absolument aucune raison qui puisse justifier l’arrestation et la détention des deux journalistes togolais. « Les autorités doivent les libérer immédiatement et mettre fin au harcèlement juridique d’Isidore Kouwonou », réclame le CPJ.

L’arrestation de Ferdinand Ayité et Joël Egdah ne sont que le dernier exemple en date. L’incident du Projet Pegasus et les cas de harcèlement judiciaire dont sont victimes plusieurs médias et professionnels des médias au Togo démontrent que le pays a encore des efforts à faire en matière de liberté de presse et de démocratie.

En dehors des deux journalistes, au moins deux militants de la société civile ont été arrêtés entre novembre et décembre, et restent détenus dans les prisons togolaises.

KAN/fd-ts


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