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Affaire Sonko – Adji Sarr : le Sénégal échappe de justesse au pire, mais…

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Ouestafnews – Le Sénégal vient une nouvelle fois d’échapper à ce qui aurait pu être une folie meurtrière sur fond de batailles politiques, comme on en voit souvent sur le continent. Fait rare au Sénégal, certains citoyens pris de panique à l’idée du déclenchement d’une violence sans fin, avaient même déjà commencé à faire des stocks d’eau et de vivres. Aujourd’hui, la tension a baissé. Le pays retrouve son calme, après avoir frôlé le pire.

Dans la capitale sénégalaise, les nerfs se détendent peu à peu. Les activités reprennent et les écoles fermées, sur décision du gouvernement, depuis une semaine, ont repris ce lundi 15 mars 2021. Les commerces, particulièrement visés par des jours de violence entre le 3 et le 8 mars, reprennent petit à petit. Il s’en est fallu de peu pour que le pire ne survienne.

Lire aussi : Affaire Sonko-Adji Sarr : péripéties d’une affaire de mœurs devenue politique

Tout est parti d’une affaire de mœurs, impliquant l’opposant Ousmane Sonko accusé de viol, par une masseuse du nom d’Adji Sarr. Cette dernière travaille à « Sweet Beauté », un des nombreux « salons de massage » dakarois à la réputation sulfureuse. Elle accuse l’opposant, un des clients du salon, de l’avoir violée à plusieurs reprises.

M. Sonko, député à l’Assemblée nationale et candidat malheureux à la présidentielle en 2019, reconnaît s’être rendu sur les lieux le jour des faits et avoir bénéficié des services de la masseuse. Par contre, il nie tout acte de viol et dénonce un « complot politique », ourdi pour le liquider.

Se réfugiant derrière son immunité parlementaire, Ousmane Sonko refuse d’abord de répondre à la convocation des enquêteurs de la gendarmerie. Dans la même déclaration, il promet de déférer à la convocation dès la levée de cette immunité. Ce qui sera fait le 26 février 2021 par l’Assemblée nationale, où la mouvance présidentielle est majoritaire.

C’est en déférant à la convocation du juge d’instruction le 3 mars 2021 que l’opposant a été arrêté en cours de route pour « trouble à l’ordre public ». Il sera finalement libéré sous contrôle judiciaire le 8 mars, mais seulement après cinq jours de violentes manifestations et de dégâts sur toute l’étendue du territoire ayant fait une dizaine de morts.

La décrispation a été rendue possible grâce à ceux qu’on appelle ici les « régulateurs sociaux », terme fourre-tout et ambigu, s’il en est. On le colle volontiers à des leaders religieux (catholiques ou musulmans) à des chefs coutumiers écoutés, à des militants de la société civile et à d’autres acteurs de l’ombre qui jouent les médiateurs, lorsque le pays est au bord du gouffre.

Il a donc fallu au Sénégal et au Sénégalais de faire appel à ceux-là, et à leurs derniers ressorts, pour apaiser une situation devenue intenable.

Face à la violence des manifestations, ces « régulateurs sociaux » ont élevé la voix et fait de la médiation tous azimuts, en invitant d’abord le président Sall et son opposant Ousmane Sonko à l’apaisement.

Ainsi, le médiateur de la République Me Alioune Badara Cissé, compagnon de la première heure de l’actuel chef de l’Etat, fera une première sortie qui amorce la décrispation. Il prononce un discours d’apaisement le 7 mars 2021 et en profite pour appeler le président à briser le silence pour calmer la situation. Ce que ce dernier fera le lendemain dans la soirée.

« Je vous ai compris », lance le président Sall à l’endroit de la jeunesse et des manifestants, dans un message qui se voulait apaisant, aux antipodes de celui prononcé quelques jours plus tôt par son ministre de l’Intérieur Félix Antoine Diome. Ce dernier avait utilisé un ton plutôt guerrier à l’endroit des manifestants, dénonçant des « terroristes » et des « forces étrangères ».

Le président, qui appelle au « calme et à la sérénité », fait de nombreuses promesses à l’endroit des jeunes, dont celle de réorienter les dépenses pour soutenir la formation et l’emploi. Il ne manque pas, pour expliquer la colère contre son gouvernement, de se réfugier derrière l’alibi tout trouvé des nombreux effets négatifs de la pandémie de Covid-19 sur l’économie sénégalaise, à l’instar de ce que vivent toutes les économies du monde.

La bombe venait d’être désamorcée, mais après un bilan lourd : une dizaine de morts, des dizaines/centaines d’arrestations et de nombreux commerces pillés. Les enseignes françaises auront été particulièrement touchées, et notamment la chaîne de supermarchés Auchan et les stations-services Total.

Cependant, elles n’étaient pas les seules à faire les frais de la furie des manifestants. De nombreux commerces ou biens appartenant à des Sénégalais ont été détruits ou pillés par les manifestants, faisant craindre le pire.

Le président avait donc intérêt à répondre à l’appel des « régulateurs sociaux » et à calmer le jeu. C’est également suite aux nombreuses médiations des mêmes « régulateurs sociaux, que le Mouvement pour la défense de la démocratie, qui entend maintenir la pression sur le gouvernement, a annulé sa « marche pacifique », initialement prévue le samedi 13 mars 2021.

Le M2D est un rassemblement hétéroclite de partis d’opposition et d’acteurs de la société civile, apparu dans la foulée de l’affaire Sonko et décidé à s’opposer au gouvernement.

Le M2D expliquera que l’annulation est une réponse à une invitation faite par des personnalités religieuses. Les mêmes qui ont convaincu le président de la République de sortir de son mutisme et de faire une déclaration allant dans le sens de l’apaisement.

Apaisement, mais…

Aujourd’hui, le calme est revenu. Pour autant, « la crise n’est pas finie. Elle peut s’apaiser mais on reste dans une zone d’instabilité », estime Hady Ba, professeur de philosophie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Dans le même ordre d’idée, un acteur de la société civile, proche des milieux religieux musulmans et chrétiens, estime qu’« il y a encore de l’électricité dans l’air » et qu’ « il suffit d’une petite étincelle pour que la situation s’embrase encore ». Très impliquée dans le processus en cours, ce médiateur préfère à ce stade ne pas faire de déclaration à la presse, en dehors des positions officielles de son groupe.

Le Sénégal l’a échappé belle, mais les ingrédients qui ont nourri la violence des derniers jours demeurent.

Les mouvements de contestations notés sur toute l’étendue du territoire sénégalais témoignent de l’exaspération des populations. Une exaspération aux racines multiples : dégradation des conditions de vie dans le pays, mauvaise gestion des ressources publiques, le tout couronné par une année « d’enfermement » due au Covid-19, selon des spécialistes. 

« Les jeunes qu’on a vu déferler ont voulu exprimer foncièrement un ras-le-bol généralisé », explique le sociologue, Dr Abdoukhadre Sanoko, cité par le journal Le Quotidien. Il explique ce ras-le-bol par la fracture trop grande entre « riches » et « pauvres ».

Fin février, alors qu’on était en pleine affaire Sonko, 102 universitaires sénégalais avaient sonné l’alerte en signant un manifeste dans lequel ils expriment leur inquiétude sur la démocratie et l’Etat de droit dans leur pays.

C’est sur cette tension sociale extrême que surfera l’opposant Sonko pour mobiliser ses troupes et transformer une affaire de mœurs en une affaire politique, qui a failli faire basculer le Sénégal dans la tragédie. Son interpellation suivie d’une garde vue et la levée de son immunité parlementaire feront le reste.

TS-FD/on


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