Ouestafnews – Deuxième volet de notre enquête sur l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) : comme tous les autres instituts « Pasteur » dans le monde, l’IPD fait partie d’un réseau international piloté par la France et que ce pays met au service exclusif de sa diplomatie scientifique et de son prestige pour peser sur les affaires de santé mondiale. Derrière la fondation, officiellement de « droit sénégalais », qui gère l’IPD, se trouve un pion au service de la France et de son influence dans le monde.
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Créée en 1887 en France, l’Institut Pasteur s’est inscrit dans une dynamique internationaliste en matière de recherche médicale. La colonisation aidant, son extension s’est faite à 25 pays à travers le monde et a secrété, au fil du temps, une structuration qui repose sur deux principes au moins : la prééminence tacite de l’Institut Pasteur de Paris sur tous les autres et des relations couvertes du sceau de la confidentialité.
La décolonisation et 60 ans d’indépendance pour des pays comme le Sénégal n’y changeront rien. L’Institut Pasteur à Dakar et les autres Instituts Pasteurs dans le reste du monde reste sous contrôle français, avec des ajustements au fil du temps.
Pour opérationnaliser tout cela et permettre à la « maison-mère » de rester aux commandes, il a d’abord été mis en place le Réseau international des Instituts Pasteur (RIIP) en 2003. Le nom changera pour devenir « Pasteur Network » à partir de 2011.
Au cœur de ce dispositif, les « valeurs pasteuriennes », considérées comme sacrées, et dont l’Institut Pasteur de Paris est l’unique dépositaire. Ces valeurs, auxquelles souscrivent tous les autres instituts « Pasteur » à travers le monde, fixent la ligne de conduite de tous les autres membres du réseau et leur ôte toute velléité d’émancipation ou une quelconque possibilité d’autonomie.
Et quelles sont ces « valeurs pasteuriennes » ? A Dakar, faute d’interlocuteur malgré les multiples tentatives de parler aux responsables de l’Institut Pasteur de Dakar, on n’en saura rien.
A Paris, le Pr Pierre Marie André Girard, directeur international de l’Institut Pasteur, accepte de répondre à des questions, mais pour au finish ne pas dire grand-chose, se réfugiant derrière une clause de « confidentialité » qui lie l’institution mère aux instituts Pasteur dans le monde.
« L’accord de collaboration (entre les différents instituts Pasteurs, NDLR) est un document qui fixe les engagements à suivre les valeurs pasteuriennes. C’est un document contractuel bilatéral entre l’institut d’un pays et l’institut Pasteur. Il reste donc confidentiel », a admis le Pr Girard à Ouestaf News dans un entretien par e-mail.
Dans sa volonté de sauvegarder les « valeurs pasteuriennes » (humanisme, universalisme, rigueur et développement) le RIIP est encadré par le principe de la confidentialité dans son fonctionnement, selon le rapport 2017-2018 du réseau.
Néanmoins, cette limite peut constituer une contrainte majeure pour les 33 instituts Pasteur qui en sont membres à travers le monde et dont neuf sont en Afrique (Algérie, Cameroun, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Sénégal, Guinée, Maroc, Tunisie, Madagascar) plus le Centre de recherche médicale et sanitaire (Cermes) de Niamey au Niger.
Membre du réseau, le Niger est une particularité. Contrairement aux autres membres africains, le Centre de recherche médicale et sanitaire (Cermes) de Niamey ne porte pas le nom d’institut « Pasteur ». Sur son site, le Cermes se définit comme un « établissement public à caractère scientifique et technique placé sous la tutelle du Ministère de la Santé Publique de la république du Niger ».
Confidentialité et dépendance
L’accord de coopération étant « confidentiel », aucune possibilité pour les ressortissants des pays où sont implantés les instituts Pasteur ou les membres de son réseau de savoir ce qui se trame derrière. Or depuis l’explosion du Covid-19, les citoyens se posent des questions sur la vraie nature des instituts Pasteur basés en Afrique comme celui du Sénégal. Questions rendues légitimes par la masse énorme de données personnelles recueillies durant la pandémie et les retombées financières générées par les tests Covid.
En plus de la confidentialité, le RIIP est juridiquement sous tutelle française. Il est chapeauté par une direction internationale basée à Paris et qui a en charge sa visibilité et sa compétitivité. En 2011, il s’est doté d’une « entité légale » dénommée Association Pasteur International Network présidée par le directeur de l’institut Pasteur de Paris.
C’est cette liaison organique avec la France qui incite à penser que le Réseau international des instituts Pasteur est un instrument de la diplomatie scientifique française dans le monde.
En théorie, pourtant, les instituts Pasteur sont supposés être des établissements nationaux autonomes, qui, sous des structures juridiques variables, appartiennent au pays dans lesquels ils sont situés. Dans la réalité, leur présence et leurs ambitions internationales restent limitées par l’appartenance au RIIP qui, fort de son poids international acquis grâce aux différents membres du réseau, jouit d’un statut d’observateur auprès de l’Organisation mondiale de la santé.
Gouvernance, finances…
Le financement des activités du réseau est assuré par une cotisation mensuelle des instituts membres. Un fonds qui permet de financer « les cours internationaux et l’organisation de réunions régionales sur les cinq continents ».
Preuve de l’utilité et du poids du réseau pour la diplomatie française, l’institut Pasteur de Paris dont le budget s’élevait en 2018 à 289 millions d’euros (190,217 milliards FCFA environ) « offre » chaque année, le montant cumulé des cotisations des autres membres.
L’Association Pasteur International Network dispose d’un conseil des directeurs du Réseau composé des directeurs de chacun des instituts membres. Ce conseil qui se réunit une ou deux fois par année est présidé par le directeur général de l’institut Pasteur à Paris.
Selon le professeur Girard chaque membre a son autonomie budgétaire, mais les contraintes (confidentielles) imposées sur l’usage du label Pasteur, peuvent bien réduire cette autonomie.
Epée de Damoclès
D’après les textes de l’Association Pasteur International Network, l’exclusion d’un membre peut être dictée par le non-respect des engagements de la charte des valeurs pasteuriennes. La décision est prononcée par l’Assemblée générale. Suite à un changement du cadre de recherche ou d’un changement de textes, un membre peut aussi soumettre à l’Assemblée sa volonté de quitter le réseau.
Combien de membres ont quitté le réseau au cours de la dernière décennie ? Le professeur Girard s’est montré très évasif sur cette question.
Suite à une relance par mail, il a indiqué que seul un membre a quitté au cours de ces dix dernières années, un « institut basé en Europe », qu’il n’a pas voulu nommer. Aux yeux de certains observateurs, l’identité et les valeurs pasteuriennes peuvent être questionnées à l’heure actuelle.
« Peut-on encore parler de doctrines ou de méthodes pasteuriennes, alors qu’il tombe sous le sens que la science procède aujourd’hui dans le monde entier à des recherches standardisées avec une méthodologie identique ou très comparable ? », se demande Anne-Marie Moulin dans un article intitulé : « Histoire du réseau international des instituts Pasteur (2003-2013) ». Selon cette chercheuse membre du Centre national de la recherche scientifique, le RIIP est une « toile fragile à la fois forte et fragile ».
Le respect de l’identité est non négociable, on peut aussi en dire autant des noms « Pasteur » et « institut Pasteur ». « Tout usage des noms et marques « Pasteur » ou « institut Pasteur » pour une activité industrielle, de production ou de distribution est soumis à l’autorisation expresse de l’institut Pasteur », indique l’institut Pasteur de Paris sur son site.
Malgré les « dispositions d’accords et de conventions préexistants, l’institut Pasteur a le droit de demander la cessation de l’utilisation du nom et des marques « Pasteur » et « institut Pasteur » à un membre, ajoute la même source qui précise aussi qu’une utilisation abusive de la marque peut même entrainer l’exclusion d’un membre.
L’association Pasteur International Network et ses 33 instituts membres disposent d’un partenariat avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). En 2016, l’association a été d’ailleurs reconnue comme un « acteur non étatique en relations officielles » par l’Organisation mondiale de la santé.
MN-ON/ts
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