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Sénégal – Législatives : des tensions dans le processus électoral  

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Ouestafnews – A quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale, la méfiance subsiste entre pouvoir et opposition sur le déroulement du processus électoral. Pour calmer les ardeurs, le président Bassirou Diomaye Faye est monté au créneau pour appeler les acteurs politiques à la « retenue » et à la « responsabilité » dans le discours.

Le président Bassirou Diomaye Faye a appelé le vendredi 25 octobre 2024 à l’apaisement et à la responsabilité dans le discours politique en vue des législatives du 17 novembre 2024.

Dans une adresse retransmise en directe à la télévision nationale, à 48 heures du début de la campagne électorale, le président sénégalais a mis en garde la classe politique face à certains « propos et des comportements » dangereux pour la cohésion nationale.

Saluant la « maturité démocratique » du peuple sénégalais, M. Faye a estimé que les élections ne doivent pas être « un facteur de discorde » et a assuré que le scrutin sera « libre, démocratique et transparent ». 

Cette sortie du président Faye intervient dans un contexte très tendu marqué par des discours belliqueux. Une situation consécutive à de vives contestations qui ont marqué le processus électoral à plusieurs niveaux. Fixation de la date du scrutin, délais de dépôt des listes de candidatures, format des bulletins de vote, etc., les désaccords entre pouvoir et opposition se sont multipliés.

Cet appel à la retenue du chef de l’Etat est différemment apprécié par les acteurs politiques et de la société civile.

Alioune Tine, une des figures de la société civile, salue un « discours rassurant » et adapté à un contexte de pré- campagne où « tous les coups sont permis ». Pour le fondateur de Afrikajom Center, « cet effort réel du président à réconcilier son peuple » participe à lutter contre les « dérives et la dégradation continue » des rapports entre les camps politiques.

Membre de l’opposition, Moustapha Diakhaté donne une lecture tout à fait différente. « Ce n’est pas à la nation qu’il devait adresser son discours mais à Ousmane Sonko et aux milices d’insulteurs de Pastef », a réagi l’ancien président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar sous le régime de Macky Sall, sur son compte Facebook.

Ousmane Sonko est le premier ministre, par ailleurs président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (les Pastef) dont il est également la tête de liste pour les élections législatives du 17 novembre 2024.

Dissolution de l’Assemblée nationale

Le ton de la divergence a été donné dès l’annonce, le 12 septembre 2024, par le président Bassirou Diomaye Faye de la dissolution de l’Assemblée nationale et la fixation de la date des législatives.

Pour l’opposant Thierno Bocoum, joint par Ouestaf News quelques jours avant le message du chef de l’Etat, il y a eu « une volonté manifeste » du pouvoir « d’utiliser les pouvoir régalien de l’État pour avoir une avance sur les autres coalitions ».

M. Bocoum, un des porte-parole lors de la mise en place, le 19 septembre 2024, de l’Alliance pour la transparence des élections (ATEL), en veut pour preuve la non-divulgation d’une décision du Conseil constitutionnel sur les modalités de dissolution du Parlement et de l’organisation de nouvelles législatives.

Cette décision des « sept sages », saisis par le chef de l’État, devrait être « de notoriété publique » mais au lieu de cela, elle a été « cachée à l’opposition », déplore M. Bocoum.  

Lire aussi : Sénégal : le spectre d’un retour aux dérives autoritaires

Le président de la République « n’a fait qu’appliquer la Constitution », notamment en son article 87 qui encadre l’organisation des législatives anticipées, réplique Ayib Daffé, mandataire de la liste du parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), au pouvoir.  

Les décrets pris par le chef de l’État sont basés sur la loi fondamentale, le Code électorale et l’avis du Conseil constitutionnel, argumente-t-il.

Les décisions et la démarche « unilatérales » du pouvoir consacrent une « rupture de la tradition de consensus » qui prévaut au Sénégal depuis 1992, explique Thierno Bozoum.

Pourtant des réunions de concertations avaient été organisées par le ministre de l’Intérieur, Jean-Baptiste Tine, sur instruction du président de la République Bassirou Diomaye Faye.

« Une parfaite diversion » aux yeux de cet opposant, membre de la coalition Samm Sa Kaddu (Tenir sa parole en Wolof) dirigée par le maire de Dakar, Barthélémy Dias.

Le leader du mouvement AGIR (Alternance générationnelle pour les intérêts de la République) accuse le pouvoir d’avoir mis « les charrues avant les bœufs » en publiant des décrets contraires au Code électoral avant d’appeler au dialogue.

Pour sa part, le mandataire du parti Pastef minimise la situation. Les opérations se déroulent « normalement » et les différents camps politiques préparent la campagne électorale, estime Ayib Daffé.

Pour l’opposition, l’attitude du pouvoir, qui a « cherché à dribler » ses adversaires, créé « des doutes » sur le processus électoral. Dès lors, souligne Thierno Bocoum, les opposants vont rester « vigilants » car le régime a montré qu’il n’est pas dans la logique d’une élection « libre et transparente ». 

Des analystes minimisent

Les opérations préélectorales se déroulent « globalement » en conformité avec le « cadre légal « prévu en cas de législatives anticipées, souligne Djibril Gningue, expert électoral, contacté par Ouestaf News.

Pour ce membre du Gradec (Groupe de recherche et d’appui pour la démocratie participative et la bonne gouvernance), l’absence de consensus sur la conduite du processus n’a pas une incidence sur la crédibilité des résultats. Les textes « n’obligent » pas le pouvoir à organiser des concertations sur l’organisation des élections, explique-t-il.

Lire aussi : Dissolution de l’Assemblée nationale au Sénégal : « parjure », dit l’opposition, « soulagement » pour le pouvoir

Dès lors, les risques de contestation des résultats sont minimes, déclare l’analyste politique Babacar Ndiaye, du Think thank Wathi à Ouestaf News. Il estime que « la machine électorale » sénégalaise est « tellement huilée » qu’il ne faut pas craindre pour la transparence des élections.

Pour contester cet unilatéralisme dans la gestion du processus électoral, des recours avaient été déposés devant le Conseil constitutionnel par les opposants. L’objectif était de faire annuler le décret présidentiel portant convocation des électeurs le 17 novembre 2024 au motif qu’il viole des dispositions de la loi électorale. Des demandes rejetées en bloc par la juridiction le 25 septembre 2024.

Avant cela, une première réunion de concertations, tenue le 21 septembre 2024, entre le pouvoir, l’opposition et la société civile, s’est achevée en queue de poisson. Le ministre de l’Intérieur avait opposé un niet catégorique à l’opposition qui exigeait le retrait du décret convoquant le corps électoral comme préalable aux concertations.

Pas de consensus non plus sur une proposition de modification du format des bulletins de vote. Après une rencontre avec les différents camps politiques le 8 octobre 2024, le ministre Tine a ainsi annoncé le maintien de la catégorie de bulletin traditionnellement utilisée au Sénégal.

Signe de la poursuite du bras de fer, des recours ont été déposés devant les juges constitutionnels pour faire annuler des listes provisoirement acceptées. Des figures politiques de premier plan dont le Premier ministre Ousmane Sonko ainsi que l’opposant et maire de Dakar, Barthélémy Dias, ont été ciblées par ces recours.

L’éligibilité des deux a été contestée par des concurrents à cause de condamnations pénales dont ils ont fait l’objet mais les recours les visant ont été déclarés « irrecevables » le 10 octobre 2024 par le Conseil constitutionnel.

Lire aussi : Sénégal : l’Assemblée nationale dissoute, élections anticipées le 17 novembre 2024

Une décision « salutaire » qui permet d’avoir un processus « inclusif, qui n’exclut personne », souligne Djibril Gningue. Selon lui, elle peut contribuer à apaiser le climat de tension qui règne entre le pouvoir et les opposants.

La participation des coalitions et personnalités politiques les plus en vue est également une bonne chose pour la démocratie et pour « le choix des électeurs », souligne Babacar Ndiaye de Wathi.

Ce verdict du Conseil constitutionnel, combinée à l’absence de parrainages pour ces élections anticipées, va permettre de savoir ce que « pèsent les uns et les autres », fait-il remarquer. 

Lors des législatives de 2022, plusieurs listes dont celle des titulaires de la coalition Yewwi Askan Wi (Libérer le peuple en Wolof) dirigée par Ousmane Sonko, leader de l’opposition d’alors, avait été invalidées par la haute juridiction. Un verdict fondé sur des bases « très partisanes et arbitraires », selon Ayib Daffé. La décision avait envenimé davantage le climat politique tendu entre le régime de Macky Sall et ses opposants.  

Devant les « sept sages », l’actuelle opposition a évoqué notamment la restriction des délais légaux de dépôt des listes électorales. Ces contraintes n’ont pas empêché un nombre pléthorique de 41 listes de candidatures, ce qui traduit une « bonne dynamique » en termes de représentation, assure l’analyste politique Babacar Ndiaye.

« Il fallait bien s’y attendre en l’absence de parrainage » pour ces élections anticipées, explique le spécialiste des questions électorales, Djibril Gningue. Mais cette « inflation » de listes n’a pas pour autant battu le record des 47 listes enregistré lors des législatives 2017. A cette époque, rappelle M. Gningue, il n’y avait pas encore le système de parrainage citoyen qui sert de filtre pour limiter les candidatures.

Ces nombreuses contestations préélectorales ne sont que le résultat d’une « polarisation » issue de la crise politique qui a secoué la Sénégal entre 2021 et 2024, estime Djibril Gningue du Gradec.

Pour lui, ces tensions au sein de la classe politique ne se sont pas encore apaisées, impactant de ce fait le processus électoral pour les législatives du 17 novembre 2024.

IB/fd/md/ts

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