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Togo- Covid-19 : les femmes commerçantes au bord du gouffre

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OuestafNews – Cherté des marchandises, méventes, loyers de boutiques impayés, prêts bancaires non remboursés…les femmes commerçantes du grand marché de Lomé, communément appelé marché d’Adawlato, sont au bord du gouffre, depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19. Reportage !

Des articles exposés à perte de vue. Jusque dans les rues voisines, le marché d’Adawlato grouille de monde. On y trouve tout. De la nourriture aux produits de beauté en passant par les vêtements, tissus à profusion et autres épices. C’est un dédale de ruelles avec des échoppes enchevêtrées. Un lieu bruyant et riche en couleurs où les vendeurs et vendeuses interpellent sans cesse les passants pour leur proposer les produits.

En pleine pandémie de Covid-19, cette effervescence ne se reflète pas dans le chiffre d’affaires des commerçantes de ce haut lieu de négoce de Lomé.

Regard vide, mine serrée, Solange, revendeuse de sacs, vient d’être abordée par son premier client de la journée, alors qu’il fait déjà 15h. Que se passe-t-il ? En cet après-midi de mai 2021, lorsque la journaliste d’Ouestaf News y passe pour la première fois, une seule réponse sort de toutes les bouches : « c’est à cause de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 ».

« Je n’ai toujours rien vendu alors que je suis là depuis 7h du matin », déplore Solange qui espère encore vendre un article au moins avant de rentrer. Selon la dame, si elle vient toujours exposer ses sacs, c’est parce qu’avec des bouches à nourrir, elle ne peut pas se permettre de rester à la maison sans rien faire.

Non loin de Solange, une petite boutique propose un peu de tout : pagnes, prêt-à-porter, chaussures, sacs, accessoires, etc. La gérante Sessimé, la cinquantaine révolue, se nourrit, elle aussi, d’espoir pour tenir le coup. Selon elle, ses revenus ont chuté depuis mai 2020. Elle croule sous le poids d’une dette de 2 millions de FCFA auprès de sa banque et d’un million et demi de FCFA de retard de loyer. D’ailleurs, elle risque une expulsion car le propriétaire de la boutique lui a déjà donné un préavis. 

Vendeurs de produits de consommation courante ou biens de luxe, la plupart des exposants du grand marché de Lomé déplorent leur situation actuelle. En première loge, se retrouvent les femmes. Beaucoup d’entre elles sont presque à bout de souffle.

Fataliste, une commerçante d’ustensiles de cuisine déclare que son « sort est entre les mains de Dieu ». Selon son témoignage, les commerçantes de ce marché n’ont « jamais connu une situation pareille ». La vendeuse confie qu’elle n’a eu comme recette pour la journée que 4.000 FCFA, alors que d’habitude elle récoltait au moins 30.000 FCFA quotidiennement. Sa conclusion : la crise sanitaire les « a complètement plongées dans la misère ».

Ces premiers témoignages ont tous été recueillis en mai dernier. Un passage du reporter d’Ouestaf News sur les mêmes lieux, début octobre 2021, a permis de constater que la situation n’a guère changé.

« Il y a tout juste une semaine, j’ai encore jeté plus d’une centaine de cartons de biscuits stockés depuis un an. Une perte qui avoisine 500.000 FCFA », se lamente Sidonie, vendeuse de biscuits.

Akofa, vendeuse marchande de mèches et perruques, plus pessimiste, renchérit : « le marché est mort. Le Coronavirus a tout gâché. Parfois on se demande ce que les gens viennent chercher au marché parce qu’ils n’achètent rien du tout ».

C’est d’ailleurs ce que confirme une étude diligentée par le Réseau des organisations de jeunes femmes leaders pour le développement (Anojef-Togo), sur l’impact négatif du Covid-19 sur la vie des femmes au Togo.

L’étude réalisée entre juillet à septembre 2021, avec l’appui de l’Organisation Urgent Action Fund Africa for Women’s Human Rights, s’est justement intéressée à l’impact de cette pandémie sur les activités économiques des femmes.

« La pandémie à Covid-19 a eu un impact significatif sur la vie économique des femmes », a confié à Ouestaf News Mme Dina Ag. Akpoto, consultante qui a pris part à l’étude dont les résultats définitifs sont encore attendus.

Plus de 80% des femmes interviewées (lors de l’étude) demandent une subvention considérable des produits de première nécessité sur le marché et d’autres mesures d’accompagnement pour soulager les petits commerçants et artisans, souligne la consultante.

Fermeture des frontières

Le grand marché de Lomé est l’un des lieux de commerce les plus fréquentés de la sous-région. Il reçoit ainsi beaucoup de clients des pays voisins.

Pour freiner la propagation de la pandémie du Covid-19, les autorités togolaises avaient été amenées à prendre des mesures parmi lesquelles la fermeture des frontières terrestres depuis le 20 mars 2020 et ce, jusqu’aujourd’hui. Une disposition qui, malheureusement, a des impacts négatifs dans l’activité économique des femmes de ce marché.

« Avec la fermeture des frontières, les gens ne viennent plus des pays voisins. Or nos gros clients sont les étrangers. Le pouvoir d’achat du Togolais est très faible », explique Zeynab, une grossiste qui s’impatiente de la réouverture des frontières.

Les quelques étrangers qui réussissent à venir actuellement « sont obligés de payer des pots de vin ou de passer par des voies illégales », ajoute Zeynab qui espère que l’invite de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) aux pays membres soit entendue.

Réunie en session ordinaire en mars 2021, la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Uemoa a encouragé les Etats membres à la réouverture progressive de leurs frontières terrestres dans le respect des exigences sanitaires. Mais pour l’heure, au Togo, aucune date officielle n’est encore fixée.

Un choc majeur pour le secteur informel

Comme dans plusieurs pays africains, la pandémie de Covid-19 a mis à nu la vulnérabilité des travailleurs de l’économie informelle.

Le secteur informel est le principal employeur et la clé de voûte de l’activité économique des villes africaines. Selon un rapport de la Banque mondiale publié le 11 mai 2021, intitulé The Long Shadow of Informality: Challenges and Policies, l’informel représente plus de 70% de l’emploi total dans les économies émergentes et en développement et contribue à pratiquement un tiers du PIB.

La prédominance de cette économie de l’ombre réduit la capacité des pays à mobiliser les ressources budgétaires nécessaires pour stimuler l’activité économique en période de crise, mener des politiques macroéconomiques efficaces et constituer le capital humain indispensable au développement à long terme.

« Les travailleurs informels sont majoritairement des femmes et des jeunes peu qualifiés. En pleine crise de Covid-19, ils sont souvent laissés pour compte, sans guère de possibilité de bénéficier d’une protection sociale lorsqu’ils perdent leur travail ou qu’ils subissent de lourdes pertes de revenu », souligne Marie Pangestu, directrice générale de la Banque mondiale pour les politiques de développement et les partenariats.

Au Togo, le secteur informel reste largement prépondérant en contribuant à plus de 50% à la valeur ajoutée des différents secteurs de l’économie, révèle un document sur la situation économique et financière du Togo, publié à Lomé, le 14 décembre 2020 par le Service économique de l’Ambassade de France au Togo.

Propositions de  palliatifs

Plus la pandémie persiste, plus la situation devient critique. Les femmes commerçantes pensent que l’Etat doit réagir. Pour Charlotte, revendeuse de fruits, « le gouvernement doit faire quelque chose le plus vite possible pour nous sauver avec nos familles. Parce que la contribution des femmes dans les ménages n’est plus à démontrer ».

Plus précises, d’autres pensent que l’Etat doit reprendre le « Novissi », un programme de revenu universel de solidarité mis en place au début de la crise sanitaire puis suspendu. Le « Novissi » est un programme de transferts monétaires visant à soutenir tout citoyen togolais suivant des critères définis, ayant perdu son revenu en raison des mesures de riposte contre le Coronavirus. Le programme consistait à fournir aux personnes et familles les plus vulnérables des soutiens financiers mensuels.

Pour M. Edoh Komi, président du Mouvement Martin Luther King, une organisation qui se veut la voix des sans voix, « la pandémie n’étant pas encore finie, le programme « Novissi ne devait pas être suspendu aussi vite ».

A la date du 6 octobre 2021, le Togo compte un total de 25.653 cas confirmés, 1.490 cas actifs, 23.929 personnes guéries et 234 décès.

Face à cette situation, le président de la Ligue togolaise des consommateurs (LCT), M. Emmanuel Sogadji estime que l’autorité doit accompagner les opérateurs économiques, notamment les femmes commerçantes en leur facilitant l’accès aux prêts au niveau des banques et institutions de micro finance. Les femmes commerçantes ont, non seulement perdu leur clientèle, mais font aussi l’objet de « harcèlement de la part des mairies pour payer les taxes communales, d’occupation de la place publique ou de la voirie », regrette le défenseur des droits des consommateurs.

Pour sa part, Mme Rose Assiom, présidente de l’Ong Panem Africa, association à but non lucratif qui œuvre entre autres dans le social, invite les organisations de la société civile à apporter d’urgence une assistance ponctuelle à ces femmes.

Créé dès les premières années de l’indépendance, le grand marché de Lomé est le plus important centre économique et commercial du pays. Il sert de cadre de travail quotidien à des milliers de citoyens du secteur informel. Il rappelle, à bien des égards, les Nana-Benz, ces commerçantes togolaises, actives entre les années 1960 et 1980, réputées riches grâce au commerce du tissu imprimé. C’était une toute autre époque et le monde ne connaissait pas de pandémie.

DA/fd-hts

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