Dans le même entretien le Pr Kako Nubukpo revenant sur une question dont la BCEAO ne veut pas entendre parler réclame le retour en Afrique de quelque 3.000 milliards FCFA de la Banque centrale logés au trésor français et qui auraient pu servir au développement des pays de la sous-région ouest africaine membres de l’Uemoa.
Ci-dessous l’intégralité de l’entretien que l’agrégé d‘économie, qui ne mâche pas ses mots, a accordé à Ouestafnews.
Ouestafnews – En tant qu’économiste, quel est votre regard sur les progrès réalisés, après 15 ans, en matière d’intégration économique sous régionale, dans la zone Uemoa ?
Pr Nubukpo – C’est comme la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide (…).Au plan formel il est indéniable qu’il y a eu des progrès, notamment du point de vue des institutions sous régionales, du point de vue même de la cohésion au niveau des décideurs. Le mécanisme de surveillance multilatérale, le mécanisme de surveillance par les pairs, constituent des progrès indéniables.
Mais concrètement par rapport à ce que vit le citoyen de l’Uemoa, force est de reconnaitre que nous n’avons pas avancé. La pauvreté continue d’augmenter, on voit bien que le coût de la vie augmente dans l’Union, on voit bien qu’on ne peut pas circuler librement en dépit des textes qui disent qu’il y a une liberté de circulation et au plan de ce que moi j’appellerai la gouvernance macro économique de la zone il y’a de sérieux problèmes.
Nous avons une monnaie qui est extrêmement forte parce qu’elle est rattachée à l’Euro et l’Euro à fait à peu prés 1,40 dollar. Nous ne pouvons pas exporter parce que nous exportons en dollar et nos intrants sont importés en euro. Donc nos hommes d’affaires, nos agriculteurs nos commerçants ont beaucoup de mal à être compétitifs à l’export… en quelque sorte, les gens en parlent, les institutions progressent mais le citoyen lambda de l’Union ne voit pas encore le fruit de l’intégration.
Ouestafnews – Du point de vue de l’analyse économique ou se situe le blocage ? Pourquoi le citoyen justement ne voit pas ce fruit ?
Pr Nubukpo – Il y’a ce que j’appelle l’aliénation intellectuelle et l’extraversion économique. Je commence par le 2ème point, l’extraversion économique. Nos états n’ont pas été conçus pour être viables en eux même. Ce sont des produits de la colonisation, de la conférence de Berlin. Nos économies sont faites pour alimenter les métropoles à bas coût, nos produits sont des produits de rente qui ne sont pas transformés.
Après l’indépendance nos responsables politiques n’ont pas eu le courage de changer la donne. Ils se sont complus dans cette logique qu’on appelle l’économie de traite et aujourd’hui on voit les limites de cette économie de traite, puisqu’on ne crée pas de valeur ajoutée. Les coûts mondiaux des matières premières se sont retournés, on voit bien qu’il n’y a pas d’emplois pour nos jeunes qui sont obligés de migrer (…) Cette extraversion veut dire simplement que notre logique de fonctionnement est conçue pour l’extérieur et pas pour le développement des populations.
Ouestafnews – Ce genre de discours, on l’entendait il y’a 10, 15, voire 20 ans en arrière et aujourd’hui vous le reprenez dans un contexte dit de « mondialisation » – peut-on, à un moment où on parle de « mondialisation » vraiment parler d’économie « extravertie » ou d’économie « repliée » sur un pays ?
Pr Nubukpo – Oui, vous avez raison et c’est le deuxième point sur lequel je voulais revenir, et c’est l’aliénation intellectuelle. Notre modèle de penser, nos schèmes ne sont pas des schèmes endogènes. Ils sont produits par l’extérieur. Ce qui est intéressant dans le phénomène de globalisation c’est ce que chaque peuple peut apporter en terme d’originalité et sur ce plan nous avons beaucoup de travail à faire. Vous avez raison de dire que la problématique de l’extraversion est une vieille problématique, mais elle est aujourd’hui d’actualité.
Pourquoi ? Parce que la crise nous a montré que même les dirigeants occidentaux qui utilisent des modèles conçus par leurs intellectuels n’hésitent pas à changer ces modèles. Ils sont pragmatiques.
Ils sont beaucoup plus pragmatiques que nos dirigeants africains qui se contentent de recopier à l’identique les décisions du FMI (Fond monétaire international) et les injonctions de la Banque mondiale et qui se refusent à avoir une pensée endogène. Ma vision des choses c’est que nous ne pouvons réussir dans la globalisation que si nous sommes authentiques, si nous apportons quelques chose qui provient de nous, de notre culture, de notre vision du monde, de la manière dont nous voulons être avec les autres .
Ouestafnews – Mais vous savez que la plupart de nos Etats ont aujourd’hui les mains quelques peu liées à partir de tous ces programmes conçus avec ce qu’on appelle « le consensus de Washington ». Alors sur quels leviers peuvent s’appuyer nos dirigeants pour changer les choses, c’est un peu la question piège, non ?
Pr Nubukpo – Vous avez tout à fait raison. On est en un moment où il faut changer de paradigme, changer de façon de penser, mais on ne peut changer de façon de penser que si nous avons un leadership digne de ce nom et pour moi ce qui est important dans ce leadership c’est sa légitimité. Que ce leadership soit politique, social, religieux ou autre il faut que le leader soit légitime.
Si vous avez un homme politique qui traine des casseroles, il ne peut pas avoir de légitimité quand il s’exprime avec ses confrères occidentaux lorsque vous avez des intellectuelles qui n’ont aucune connaissance de leur société, de leurs économies ils ne peuvent rien apporter dans le concert de la pensée.
Donc ce sur quoi nous devons travailler, c’est le renforcement de la légitimité de nos porte-parole (…) Si nous avons des dirigeants légitimes et si prenons conscience que la diaspora est une force importante et que nous travaillons dans le renforcement de la solidarité à la fois des Africains qui sont en Afrique et ceux qui ne sont pas en Afrique et que travaillons également pour que nos gouvernants puissent se parler et qu’on renforce la gouvernance, je pense que petit à petit nous infléchirons la marche des choses.
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