Ouestafnews – Dakar a abrité courant juillet 2017 une cérémonie d’un genre particulier : la commémoration des « Trente ans de la Conférence de Dakar». Retour sur un évènement historique de la lutte contre l’apartheid au moment où une partie de la population noire en Afrique du Sud développe une grande hostilité envers les ressortissants des autres parties du continent.
Lire aussi : conférence de Dakar 1987: souvenirs, souvenirs...
Le démantèlement de l’apartheid en sept dates-clés
« Il y a eu des pays, qui ont privé de cahiers leurs écoliers, dans le but de pouvoir rassembler des fonds (…) pour soutenir la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud ». Le Dr Samba Buri Mboup, anthropologue et ancien ambassadeur du Sénégal à Pretoria, a tenu à rappeler ce fait. D’autant plus qu’à son grand regret, cette histoire n’est « malheureusement (…) pas toujours connue».
La conférence de Dakar « a créé les conditions du dialogue entre Sud-Africains. En ce sens, elle a été un déclic de la fin de l’apartheid », renchérit l’historien sénégalais Iba Der Thiam. Le Pr Thiam fut l’un des témoins de cette rencontre historique, à la limite de l’inimaginable à l’époque, tant le fossé était grand entre le régime dictatorial tenu par les racistes blancs et les mouvements de libération des Noirs. Selon cet historien sénégalais, la « Conférence de Dakar » a contribué à « briser la glace » de la division en Afrique du Sud.
L’historien et le diplomate s’exprimaient tous deux au colloque organisé dans le cadre des activités marquant les trente ans de cette conférence, tenue en 1987, sur l’île de Gorée, située au large de Dakar et autre lieu symbole de la souffrance des peuples noirs à leur contact avec l’Europe.
La célébration intervient dans un contexte difficile dans les relations entre l’Afrique du Sud et le reste du continent, en raison des nombreux actes de xénophobie contre les « immigrés africains » vivant actuellement en Afrique du Sud.
Soutien à l’ANC
Le colloque aura au moins permis de lever le voile sur une partie méconnue de la lutte contre l’apartheid : le soutien apporté par certains pays africains à l’African National Congress (ANC, le parti de feu Nelson Mandela), aujourd’hui au pouvoir.
Une fois libéré du joug de l’apartheid, l’Afrique du sud a adopté comme credo « l’ouverture et le multi-culturalisme », symbolisé par le concept de « la nation arc-en-ciel » rêvée et voulue par Nelson Mandela, au lendemain de sa sortie de prison (1991) et de sa prise du pouvoir à la fin du régime d’apartheid (1994).
Ces dernières années, et surtout depuis le début des années 2000, ce rêve d’ouverture est mis à rude épreuve par des émeutes xénophobes récurrentes. Entre 2008 et 2015, au moins 62 personnes ont été tuées du fait de ces actes de violence que nombre d’Africains ne s’expliquent pas.
Ce n’est pas tout : la politique d’octroi des visas aux Africains, y compris aux intellectuels et aux cadres de certains pays, n’est pas sans rappeler celle de certains pays occidentaux décidés à fermer leurs portes à l’Afrique.
Tout ceci fait penser que la nation arc-en-ciel tourne le dos à ceux qui avaient ouvert leurs portes aux combattants de l’ANC dans les moments les plus sombres de la répression menée par les ségrégationnistes blancs.
Aujourd’hui en Afrique du sud, certains « migrants » (Somaliens, Malawites, Congolais, Zimbabwéens, mais aussi Nigérians, Sénégalais, Ivoiriens, etc.) sont accusés, entre autres, de « voler » aux nationaux leur travail, d’être des trafiquants de drogue, de fragiliser le pays et d’y installer l’insécurité…
Faillite du leadership sud-africain
Si cette situation prévaut, c’est parce que le leadership politique et intellectuel sud-africain, arrivé au pouvoir en 1994, n’a pas fait le travail d’information qu’il fallait, selon le Dr Mboup, par ailleurs membre fondateur de l’Institut Thabo Mbeki pour le Leadership Africain (TMALI), basé à Unisa (Univestity of South Africa).
Si ce travail avait été fait, explique le diplomate, les Sud-africains « auraient compris qu’il y a toujours eu une solidarité active (du reste) de l’Afrique avec l’Afrique du Sud ». Cette solidarité ne donne pas le droit aux autres Africains de venir les «envahir » ou de « prendre leur travail », mais au moins qu’ils sachent « que les Africains ont fait cause commune avec eux », durant les moments difficiles.
Cette hostilité est une sorte de « redirection de l’agressivité », selon l’analyse du juriste Benoît Ngom pour qui les Sud-Africains, qui s’en prennent aux autres Africains, savent très bien que leurs problèmes ne viennent pas de ces immigrés.
« Ils le font parce qu’ils ne peuvent pas agresser celui qui est la cause de leur problème », notamment l’élite sud-africaine, poursuit M. Ngom qui avait participé à la conférence de Dakar.
Les raisons souvent évoquées par les manifestants anti-migrants sont infirmées par les chiffres : les étrangers ne représentent que 4% de la population sud-africaine et travaillent pour la plupart à leur propre compte, selon l’Institut des Relations Entre les Races. Les autorités ferment les yeux sur ces informations, surtout quand elles ne sont pas capables de tenir leurs promesses, expliquait en mars 2017 Jean-Pierre Misago de l’Université de Witwatersrand à Johannesburg cité par RFI.
Durcissement de la loi sur l’immigration
Après les premières émeutes de 2008, l’Afrique du Sud a procédé en 2014 au durcissement de la loi sur l’immigration. Les nouvelles règles mises en place limitent largement l’obtention du permis de travail, de visa de résident permanent et de visa de conjoint, etc. Ce qui complique d’avantage la situation des étrangers.
Un autre problème s’est également posé avec la nouvelle loi sur l’immigration. Il s’agit de la création d’entreprise par des étrangers. Ces derniers doivent désormais obtenir une lettre de recommandation du ministère du commerce. Des mesures qui révoltent les ONG qui militent pour la protection des étrangers en Afrique du Sud. Contacté par Ouestafnews, l’ambassadeur par intérim de l’Afrique du Sud au Sénégal, n’a pas souhaité réagir.
Relations tumultueuses avec le Nigéria
Dans sa relation particulière avec les autres pays africain, c’est sans doute avec le Nigéria que l’Afrique du Sud a des rapports les plus tendus. Et pourtant les deux pays sont les fers de lance de l’économie africaine, mais les dernières vagues de violence ont suscité une crise diplomatique entre les deux pays.
Des étudiants nigérians ont ainsi défilé devant les sièges des entreprises sud-africaines telles que Multichoice (fournisseur de télévision par satellite) et MTN (opérateur de téléphonie mobile).
En 2016, le président Jacob Zuma a effectué un déplacement au Nigéria interprété par certains observateurs comme une tentative d’apaisement des tensions entre les deux géants du continent.
Voulez-vous réagir à cet article ou nous signaler une erreur ? Envoyez-nous un message à info(at)ouestaf.com.