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Côte d’Ivoire- présidentielle : la société civile, arbitre ou simple spectatrice ?

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Ouestafnews- Alors que la Côte d’Ivoire s’apprête à aller aux urnes le 25 octobre 2025, la capacité de la société civile à jouer son rôle dans le processus électoral suscite des interrogations. Si ses acteurs ne semblent pas ménager leurs efforts pour une bonne organisation du scrutin, ils souffrent d’un manque de moyens et de crédibilité. La faute notamment à des prises de position jugées partisanes lors de la douloureuse crise de 2010-2011.

Le passé récent de la Côte d’Ivoire « ne milite pas systématiquement » pour la crédibilité de la société civile ivoirienne. C’est la conviction de l’analyste politique Nuridine Oyéolé. Interrogé par Ouestaf News, l’analyste estime qu’il y a encore, une survivance de la polarisation notée au sein de la société civile lors de la crise de 2010-2011. De même, on note une « inféodation » de beaucoup d’organisations à des partis politiques, ce qui continue d’entretenir une « suspicion » vis-à-vis d’elles dans l’opinion publique.

Christophe Kouamé, président de l’Ong Civis Côte d’Ivoire, qui se présente comme une organisation au service de la « citoyenneté » et des « droits humains », ne dément pas. Acteur de la société civile, il reconnait qu’une grande partie des organisations qui composent celle-ci continue de prendre fait et cause pour un camp politique. Cela est dû, selon lui, à un processus de réconciliation « pas à terme ».

La société civile ivoirienne n’avait pas été épargnée par le déchirement qu’a connu la Côte d’Ivoire durant la crise post- électorale de 2010-2011. A l’instar de toutes les autres strates du pays, ces organisations ont vécu la division qui a régné après le deuxième tour de l’élection présidentielle tenu le 28 novembre 2010.  

La proclamation des résultats avait conduit à cinq mois de confrontation politico-militaire entre le camp du président sortant d’alors, Laurent Gbabo et celui de son adversaire à l’époque, Alassane Ouattara. Le conflit, qui s’est poursuivi jusqu’à l’arrestation de M. Gbagbo en avril 2011, avait fait plus de 3.000 morts.

Face à la violence de la crise, des organisations faîtières comme la Convention de la société civile ivoirienne (CSCI) ont dû faire face à des prises de positions jugées partisanes. La CSCI regroupait pas moins de 132 structures professionnelles, religieuses, à côté des syndicats et des ONGs. À l’époque, elle avait pourtant déployé 1.100 observateurs électoraux sur le territoire ivoirien, indiquait son président, Patrick N’gouan, dans une interview publiée par le site d’informations abidjan.net le 26 février 2011.

Près de quinze ans après ce douloureux épisode, on continue de s’interroger : la société civile ivoirienne a-t-elle fait sa mue ?

Pour le professeur Jean Marie Kouakou, philosophe et anthropologue, il est difficile d’avoir un aperçu « concret» et « objectif » de la crédibilité des organisations de la société civile sous le prisme des clivages du passé.

Répondant à des questions d’Ouestaf News, l’universitaire estime que certaines structures, comme l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire et d’autres, peuvent être qualifiées d’« indépendantes » mais «leurs voix ne portent pas réellement». Elles manquent de « visibilité » et se voient obligées de se regrouper pour être « audibles ».

Les syndicats jadis puissants, se sont retrouvés, quant à eux, « affaiblis » depuis la crise des années 2000 et 2010, explique l’universitaire, alors que les organisations religieuses qui se disent « neutres » sont en réalité « affiliées » à différents partis politiques, fait remarquer M. Kouakou.

Dans le processus menant à la présidentielle d’octobre 2025, les militants de la société civile ivoirienne affichent leurs ambitions et se veulent les garants de l’intégrité des opérations. Mais ont-ils la crédibilité nécessaire pour jouer le rôle d’arbitre, notamment au sein de la Commission électorale indépendante (CEI) ?

À la CEI, la société civile occupe six sièges sur 18. Dans ce quota, un siège est attribué au barreau, un autre au Conseil national des droits de l’homme et les quatre restants aux organisations de la société civile, indique le site internet de la Commission. Problème : ces personnalités issues de la société civile sont soupçonnées par l’opposition de pencher en faveur du pouvoir.  

Mais pour le président de la CEI, il s’agit d’une question « personnelle » des concernés. Dans une interview publiée sur le site de Radio France internationale le 27 septembre 2024, Ibrahime Coulibaly Kuibiert a cependant reconnu que les partis politiques peuvent « avoir des membres de la société civile à leur profit ».

La société civile n’a qu’un rôle de « faire-valoir »au sein de la CEI, estime Pulchérie Gbalé, présidente d’Alternative citoyenne ivoirienne (ACI), répondant aux questions d’Ouestaf News. ACI se présente comme une organisation qui travaille à la promotion des droits humains, des libertés civiles, de la démocratie et de la paix. Selon cette activiste, l’influence de la société civile dans la CEI est d’autant plus limitée qu’elle n’est pas représentée dans les démembrements territoriaux de l’organe électoral.

Moins sévère dans son jugement, l’analyste politique Nuridine Oyéolé, tout en admettant l’influence limitée de la société civile, estime qu’elle a quand-même la capacité de donner son appréciation sur le respect des procédures électorales et de sensibiliser les populations.

Il cite en exemple les observations menées par ces organisations à l’occasion de la dernière révision de la liste électorale qui s’est déroulée du 19 octobre au 17 novembre 2024. Lors de ces opérations d’enrôlement d’électeurs, le Consortium des organisations de la société civile pour les élections en Côte d’Ivoire (Coscel-ci) a indiqué avoir relevé de nombreux manquements.

Dans les conclusions présentées le 28 novembre 2024 devant la presse, le Coscel-ci a relevé une faible mobilisation des citoyens. Ces manquements ont été attribués, par le Consortium, en grande partie à un déficit d’information, aux difficultés d’acquisition des documents administratifs et à des dysfonctionnements techniques.

Pour Pulchérie Gbalé, les OSC qui travaillent avec le gouvernement et la CEI ne font rien d’autre que « se fondre dans le moule ». Pendant ce temps, les acteurs qui font des propositions de réformes déterminantes ne sont pas « écoutés ». Or, ce sont ces « experts » qui devraient se voir confier la gestion de la commission électorale en lieu et place des politiques, estime-t-elle.

Pire encore, la société civile fait face à des restrictions de sa liberté d’action depuis une ordonnance présidentielle signée le 12 juin 2024, indique Christophe Kouamé, président de l’association Civis Côte d’Ivoire. Selon lui, ce texte inquiète les défenseurs des droits humains en ce sens qu’il restreint la liberté d’association, impose des sanctions et permet aux autorités de dissoudre des organisations alors qu’approche l’échéance électorale d’octobre 2025.

La répétition des violences électorales reste une hantise des Ivoiriens, au fur et à mesure qu’approche la date du scrutin. Depuis 1995, la Côte d’Ivoire connait régulièrement des soubresauts meurtriers lors des élections présidentielles, à l’exception de celle de 2015. La dernière en date, celle du 31 octobre 2020, a enregistré des violences suite à l’annonce de la candidature du président Alassane Ouattara pour un troisième mandat alors que celles de l’ancien chef de l’État Laurent Gbagbo et de l’ex Premier ministre Guillaume Soro avaient été invalidées.

Pour jouer un rôle de « gardiens de la stabilité politico-civile », les acteurs de la société civile doivent « redoubler d’efforts » pour rendre leurs activités auprès des citoyens plus visibles, estime la journaliste Ahoua Tchekpélé Djabaté. Sans cela, ajoute-t-elle, leur posture reste fragile.

IB/fd/ts


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