Beaucoup de personnes n’ont eu vent de l’esclavage en Libye, qu’avec la publication de la vidéo de la CNN. La diffusion de l’élément de CNN a suscité un tollé en Afrique subsaharienne d’où sont originaires les victimes. Mais qui est responsable de cette situation ?
« Les chefs d’Etat africains étaient au courant de ces pratiques », confie d’emblée Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International sur les ondes de Rfi. Il se dit étonné de ces réactions, car, selon lui, depuis le mois d’avril dernier, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avait déjà tiré la sonnette d’alarmes en parlant de pratiques esclavagistes en Libye.
« Au mois de mai, le procureur de la Cour pénale internationale s’était dit préoccupé par la situation qui prévaut en Libye », rappelle-t-il. « Mais malheureusement, les Etats n’ont pas réagi, il a fallu attendre qu’un média américain publie cette vidéo pour qu’on ait cette indignation collective », constate-t-il.
Ce n’est pas étonnant que les autorités étatiques feignent de n’être au courant de rien. Car ils ont leur part de responsabilité dans cette pratique que le président nigérien Mahamadou Issoufou, dans un tweet, qualifie d’ «un autre âge».
Echecs des politiques publiques
Expert en relations internationales, Serigne Bamba Gaye estime que l’esclavage en Libye, est le résultat «des échecs des politiques publiques » qui sont mises en œuvre dans les pays subsahariens et qui n’ont pas permis de réduire les inégalités.
Ces politiques, selon lui, n’ont pas permis de donner à la jeunesse africaine des débouchés et des perspectives réelles. « C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, on assiste à des flux de migrants qui sont de plus en plus importants ».
«Tant qu’on n’aura pas créé les conditions d’insertion des jeunes en Afrique, tant qu’on n’aura pas mis en place des politiques efficaces de lutte contre le chômage, les hommes vont prendre des risques en mettant en péril leur vie pour aller en Europe », avertit Seydi Gassama.
Selon lui, pour beaucoup de chefs d’Etat, il est peut-être souhaitable que ces jeunes partent parce que ces milliers chômeurs dans un pays, représente une bombe.
«L’essentiel c’est qu’ils quittent le pays, qu’ils ne restent pas là et constituent une menace pour leur propre pouvoir. C’est une réalité, il faut qu’on reconnaisse notre responsabilité en tant qu’Etat, en tant que citoyens en tant que communauté en Afrique », ajoute Gassama.
Pour Bamba Ndiaye ancien ministre, vouloir se décharger sur un prétendu racisme arabe ne me semble ni pertinent ni responsable. « La faillite des politiques d’éducations, de formations et d’emplois des gouvernements africains est la première cause de cette folle aventure considérée par la jeunesse africaine comme le dernier recours pour la survie » dénonce-t-il dans une contribution paru dans le journal le Quotidien.
Avoir le courage de dénoncer
S’agissant des rappels des ambassadeurs, Serigne Bamba Gaye y voit un geste purement symbolique. « On se contente de prendre des mesures cosmétiques consistant à rappeler les ambassadeurs alors que l’Etat libyen n’est pas une réalité tangible » dénonce-t-il. Sortir du cadre de la diplomatie, pour « véritablement prendre les mesures qu’il faut pour sauver les africains qui sont en Libye et également dénoncer en tous les accords qui ont été signés entre l’UE et la Libye » est la solution selon lui.
« Les Etats africains doivent avoir le courage de dénoncer les accords qui se sont passé entre les gouvernements intérimaires libyens et l’UE » soutient-il. Et mieux : « même la phrase +crime contre l’humanité+ employée par Macron aurait dû être utilisée par un chef d’Etat africain et c’est vraiment triste »
Il faudra aussi, «prendre des mesures courageuses pour défendre les droits des migrants africains, en Afrique et dans le monde, aussi bien en conformité avec l’intégration africaine qu’avec la mondialisation, un mécanisme qui permet à tout le monde bouger. Ces recommandations doivent être une priorité pour les chefs d’Etat » préconise Mamadou Diouf, président du réseau Migration et développement.
Sommet africain pour se rattraper
Le sommet Union africaine – Union européenne d’Abidjan (29 et 30 novembre), devrait être l’occasion, pour les chefs d’Etat africains, de se montrer plus fermes, selon les observateurs.
« Si les dirigeants africains ne parviennent pas à inscrire cette question à l’agenda de cette réunion, ils auront failli, car c’est le minimum. La situation est tellement grave qu’on ne peut pas convoquer un sommet de cette importance sans discuter la question qui se passe actuellement Libye », conclut le spécialiste des relations internationales.
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