Ouestafnews – Le Conseil national de Transition (CNT) du Mali a adopté, le 31 octobre 2024, un texte qui pénalise « l’esclavage par ascendance » dans le pays. Une avancée notable mais qui, à elle seule, ne suffit pas pour venir à bout de cette pratique profondément enracinée dans la culture de certaines communautés. Pour les défenseurs des droits humains et des militants anti-esclavagistes maliens, les obstacles socioculturels restent nombreux pour arriver à une application effective de cette loi.
L’adoption de ce texte a permis de « combler le vide juridique » qui entourait le problème de l’esclavage par ascendance, estime le socio-anthropologue malien, Dr Fodé Tandjigora, contacté par Ouestaf News.
Selon lui, la criminalisation de cette forme d’asservissement va faciliter la répression judiciaire de cette pratique afin d’en sanctionner les promoteurs ou les protagonistes car les magistrats disposent désormais d’une base juridique pour le faire.
Cet acquis va permettre de sanctionner les pratiques esclavagistes et pas seulement les « actes périphériques de l’esclavage » comme les coups et blessures, les injures graves, les séquestrations ou encore les expropriations, explique Dr Fodé Tandjigora qui a mené une étude, publiée en juillet 2022, sur le sujet.
De son côté, Boubacar Ndjim, militant de la cause anti-esclavagiste au Mali, parle d’une « victoire » des victimes et des organisations de défense des droits humains. C’est un « pas significatif » contre une pratique « injuste » qui a fait plusieurs victimes depuis 2017, estime le coordinateur du Mouvement pour la sauvegarde des droits de l’Homme joint par Ouestaf News.
Il y a quelques années, des violences avaient éclaté après le refus de certains descendants d’esclaves de ne plus vivre sous ce statut. Ces descendants d’esclaves étaient soutenus par l’association anti-esclavagiste Gambana (on est les mêmes en soninké), née en Mauritanie en 2010.
Mais leur volonté d’affranchissement a été considérée comme une « rébellion » par des notabilités « nobles » qui n’ont pas hésité à organiser de violentes représailles qui ont fait des morts parmi les « esclaves ».
Expulsés de leurs villages, dépossédés de leurs champs, beaucoup d’entre eux ont pris le chemin de l’exil, note le rapport d’une étude sur « Les besoins et attentes des victimes de l’esclavage par ascendance à Kayes », publié en mai 2021 par la Commission nationale des droits humains (CNDH) du Mali.
Bien qu’elle marque un progrès important, cette loi ne constitue pas une « solution immédiate » à ce fléau. Un changement de mentalité et une volonté politique « soutenue » sont nécessaires pour gagner ce combat qui exige un engagement constant à différents niveaux et dans la durée, tempère Boubacar Ndjim.
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Dans certaines régions du Mali, l’esclavage est profondément ancré dans les coutumes de certaines communautés et son interdiction peut être considérée comme « une intrusion » dans l’ordre traditionnel de la société, avertit Boubacar Ndjim.
C’est le cas notamment dans les régions administratives de Kayes, Tombouctou, Gao ou de Kidal dans lesquelles le phénomène de l’esclavage persiste.
Dans la zone de Kayes (ouest), la population majoritaire de la communauté soninké, est hiérarchisée entre dominants dits « nobles » et dominés dits « esclaves » ou « descendants d’esclaves », en violation du principe constitutionnel d’égalité entre les Maliens.
Dans cette partie ouest du territoire malien, considérée comme l’épicentre de ce phénomène, il y a peu de chance que cet arsenal juridique puisse prospérer face à cette réalité aussi complexe que têtue, indique le CNDH malien dans une étude sur « l’esclavage par ascendance au Mali dans la région de Kayes », publié en août 2021.
« Je ne suis pas optimiste », a répondu le socio-anthropologue Fodé Tandjigora quant à la possibilité de mettre fin à la pratique de l’esclavage par ascendance avec sa criminalisation. Pour lui, il faut encourager la dénonciation de ces pratiques par les victimes ou témoins notamment par la mise en place d‘un dispositif de protection contre les représailles.
En parallèle, le dialogue avec les communautés doit être privilégié, estime Dr Tandjigora. Le levier culturel ou coutumier permet « d’éteindre les tensions » et d’éviter un éclatement de violences dans certaines localités. Ce créneau est d’autant plus important qu’il y a des villages qui ont accepté d’affranchir leurs esclaves de manière « symbolique », affirme le socio-anthropologue malien.
Pour Boubacar Ndjim du Mouvement pour la sauvegarde des droits de l’Homme, l’éducation devrait être un levier essentiel pour sensibiliser les jeunes générations à l’égalité, à la dignité humaine et aux droits humains. Cela permettra de faciliter l’acceptation de la législation et son application sur le terrain.
L’autonomisation économique des communautés vulnérables est également un facteur clé d’émancipation des victimes de l’esclavage qui dépendent de structures sociales inégalitaires et discriminatoires, estime le militant anti-esclavagiste.
IB/ts
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