Ouestafnews – Depuis près de deux ans, Bamako, la capitale malienne, comme d’autres localités du pays, connait des délestages sans précèdent. En cause, la société nationale, Energie du Mali (EDM SA) n’a plus la capacité de fournir l’électricité à l’ensemble du pays de manière simultanée. Cette pénurie d’électricité frappe beaucoup de monde. Elle touche davantage les petits entrepreneurs, artisans et autres tenants de petits métiers de subsistance. Reportage.
« Rien ne va plus dans ce pays », s’exclame en Bambara (langue locale du Mali), Amadou Guindo, en sortant d’une boutique d’alimentation sise au quartier Bacodjicoroni à Bamako. Ce matin du 10 février 2025, Guindo voulait acheter une cinquantaine de sachets de lait frais à offrir aux enfants. Mais le boutiquier, Hama Maïga, lui a fait savoir qu’en raison des délestages persistants, il a cessé de vendre des produits qui doivent être conservés au frais, dont le lait.
Mais les coupures d’électricité, les Maliens les vivent depuis près de deux ans. Retour en arrière : le 13 novembre 2024, il est presque 11 heures à Tiébani, un quartier de Bamako situé dans l’ancienne sous-préfecture de Kalabancoro. La cité est bien éclairée par le soleil mais l’électricité, elle, fait défaut aux usagers. Depuis près de deux ans, l’énergie électrique est devenue la matière la plus précieuse au sein des foyers et des lieux de travail. La société en charge du service, EDM SA, ne fournit ses services aux abonnés que par intermittence. Les petits métiers en souffrent.
Dans la rue du marché de Tiébani, la plupart des ateliers sont fermés ce jour-là. Les activités sont au ralenti. Du fond de ce souk populaire, nous parviennent les ronronnements d’un groupe électrogène. Ousmane Traoré, soudeur métallique est au travail. « J’ai une commande que je dois livrer demain dans l’après-midi. Mais je ne sais pas quand est-ce que le courant reviendra et avec quelle puissance », s’inquiète le maître des lieux. D’après Ousmane, même quand ils arrivent à avoir l’électricité, la tension n’arrive toujours pas à faire alimenter correctement leurs outils de travail.
Avec l’utilisation de groupes électrogènes les coûts de réalisation des commandes augmentent aussi. « Nous expliquons ces contraintes aux clients pour qu’ils prennent en charge eux-mêmes les frais de carburant », souligne Ousmane dont l’atelier fait partie des rares à tenir encore face aux conséquences des coupures d’électricité.
Selon Ousmane, n’eût été la compréhension de sa clientèle, il aurait arrêté le travail, car l’électricité n’est disponible que quatre ou six heures par jour.
Si Ousmane tient encore face au choc, ce n’est pas le cas pour son voisin immédiat, Boubacar Konaté. L’atelier de soudure de ce dernier a fermé les portes. Il s’est reconverti en conducteur de mototaxi (ou Telimani en bambara) pour échapper à l’inactivité imposée par l’absence d’électricité. Une nouvelle occupation qu’il exerce à partir de son domicile de Bacodjicoroni, un quartier de la Commune V du District de Bamako.
Ateliers fermés, frigos débranchés…
Un brin complotiste, Boubacar Konaté pense que les lignes électriques de Tiébani ont été sabotées. Le soudeur reconverti conducteur de moto taxi, accuse la société EDM-SA de privilégier certains quartiers de Bamako par rapport à d’autres : « elle donne six à huit heures par jours à certains contre trois à quatre heures pour Tiébani ». Souvent, ajoute Boubacar, le quartier n’est « servi qu’à partir de 2 heures du matin avec une faible puissance ».
Le soudeur contraint au chômage technique n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille. « Ce sont nos femmes qui nous viennent en aide en supportant une partie des charges familiales grâce à leurs petits commerces », dit-il, tête baissée.

Au Mali, les besoins annuels en énergie sont estimés à 3,2 milliards de KWH en 2024. En 2023, selon le rapport d’activités d’EDM SA, la production totale d’énergie était de 2,837 milliards de KWH.
Les raisons officielles fournies par les autorités pour justifier le déficit d’électricité au Mali sont, entre autres, des facteurs liés à la vétusté des équipements, la forte croissance de la demande, les difficultés d’approvisionnement en combustibles, les retards dans la réalisation de nouveaux projets énergétiques et les difficultés financières de la société EDM SA.
En raison de ce déficit de production, les prix des groupes électrogènes ont doublé sur le marché malien, indique Boubacar Konaté. « Les modèles qu’on achetait à 150 mille FCFA reviennent maintenant à près de 300 mille FCFA », précise-t-il.
Sur un autre segment de l’entrepreneuriat individuel, la vente de jus frais ou glacés a dégringolé. Rokia Traoré est sur ce créneau depuis plus d’une dizaine d’années. Aujourd’hui, elle a complètement débranché ses quatre réfrigérateurs et libéré les trois employées qui faisaient tourner son business dans les rues animées de Bacodjicoroni.
« Pendant la saison chaude, je pouvais gagner 25.000 FCFA par jour avec mes quatre frigos », confie la femme d’affaires. « Malgré des frais d’électricité qui pouvaient atteindre 120.000 FCFA par mois, je m’en sortais financièrement », explique Rokia Traoré, avec une pointe de regret.
Pour son grand malheur, à cause des délestages devenus fréquents, les jus se décomposaient dans les frigos, les rendant non consommables et donc pas vendables. Ce qui occasionnait des pertes. Pour ne pas perdre son fonds de commerce, elle a fini par jeter l’éponge et se tourner vers la vente de bois de cuisine.
Pour tous ces acteurs de la petite entreprise ou du secteur informel, ces coupures d’électricité sont comme un couteau à la gorge. C’est la survie même de leurs activités qui se posent, malgré leur poids démographique et leur rôle dans l’économie malienne.
Selon le Bulletin du ministère de l’Economie et des Finances sur les indicateurs du marché du travail publié en octobre 2024, les données recueillies en 2021 et 2022 révèlent que le secteur informel occupe 95,5 % des emplois au Mali. La même source indique que 97,5 % des femmes travailleuses sont dans le secteur informel, contre 94,3 % pour les hommes. De même, plus de 66 % des unités de production du pays sont dans l’informel.
Malgré les effets des délestages, Madou Diarra lui, ne pense pas fermer son atelier de couture. « Toutes mes économies vont dans l’achat de carburant pour le petit groupe électrogène que j’ai acquis à 175.000 FCFA », regrette le tailleur selon qui, « il est presque impossible d’honorer les engagements avec les clients ».
Difficile d’avoir des chiffres exacts sur le nombre de groupes électrogènes entrés au Mali avec la crise de l’électricité, mais dans les services publics et privés, les ateliers, les marchés et même les domiciles des plus nantis, le ronronnement continu de ces machines est la preuve d’un boom du marché.
Solutions à la traîne
Le 11 décembre 2023, un communiqué du ministère en charge de l’Energie avait annoncé un « projet d’acquisition urgente auprès des pays partenaires stratégiques des batteries intelligentes, avec des puissances de 2,5 à 15 KWH ». Pour le gouvernement malien, c’est « une réponse immédiate et coordonnée aux besoins énergétiques pressants des usagers productifs raccordés au réseau électrique interconnecté ».
La plupart des petits entrepreneurs sans grands moyens sont concernés. Couturiers ou menuisiers, meuniers ou boutiquiers, soudeurs, électriciens et autres artisans « évoluant dans le secteur informel » étaient concernés par cette mesure. Mais depuis, rien.
Le Président de la Transition, Assimi Goïta, a annoncé le 6 janvier 2025 que son gouvernement achètera des panneaux solaires et des batteries pour les revendre à des prix subventionnés, afin de rendre ces équipements accessibles aux Maliens.
Pour faire face à la crise de l’électricité, les autorités de la Transition ont également annoncé avoir « lancé » les travaux pour la construction de trois centrales solaires. Il s’agit de la centrale solaire de Sanankoroba d’une capacité de 200 MWc pour un cout de 120 milliards de F CFA dont les travaux ont été lancés le 24 mai 2024. Il y a celle de Safo avec 100 MWc dont les travaux ont été lancés le 28 mai 2024 pour un coût de 100 milliards de F CFA. Le 1ier juin 2024, ce fut le lancement des travaux pour la construction de la centrale solaire de Tchiakadougou-Dialakoro avec une capacité de 100 MWc pour un cout de 50 milliards de F CFA. Mais après les effets d’annonce, les travaux peinent à véritablement démarrer sur les trois sites.
Non seulement les travaux n’avancent pas, mais le Chef de l’Etat en personne a révélé qu’« un des sites (NDRL : celui de Safo) devant abriter ces centrales a été illégalement vendu par un maire et des habitations ont déjà été construites sur ce terrain ». Sur ce, le chef de l’Etat a promis de sévir pour la réalisation du projet. Et, comme une réponse du berger à la bergère, le vendredi 17 janvier 2025, le gouvernement a annoncé la dissolution du Conseil communal de Safo.
DT/fd/ts
Voulez-vous réagir à cet article ou nous signaler une erreur ? Envoyez-nous un message à info(at)ouestaf.com.