Ouestafnews (en collaboration avec Sahelien.com, Mali) – Longtemps considéré comme un bon élève de la démocratie en Afrique, le Mali a connu en 2021 un coup d’Etat, le deuxième en l’espace de neuf mois, et le cinquième depuis l’indépendance en 1960. De quoi susciter inquiétudes et interrogations sur le sort de la démocratie malienne.
Au Mali, l’espoir quant à l’avènement de la démocratie a désormais laissé place aux interrogations. L’instabilité politique permanente, la question sécuritaire et le double putsch sont sources d’inquiétude pour ceux qui rêvaient de démocratie et ceux qui ont lutté pour.
Dans ce vaste pays sahélien aujourd’hui confrontée à une crise sécuritaire et une instabilité politique aigües, l’avenir est encore à inventer.
« Nous avions lutté pour que les choses changent, pour qu’il y ait le pluralisme politique… », affirme avec amertume Abdoulaye Camara, un retraité qui déplore que le pays n’ait pas pu consolider ses acquis, trente ans après.
Il y a trois décennies, le Mali, à l’instar de nombreux pays-ouest africains, renouait avec la démocratie, après une longue nuit sous le régime du parti unique. Et jusqu’en 2012, le pays jouissait d’une image relativement positive avant que le renversement du président Amadou Toumani Touré (ATT) ne ramène les vieux démons.
Aujourd’hui c’est sur les cendres de cette belle vitrine de jadis que l’on essaie de reconstruire une république, sérieusement chahutée par ses différents leaders élus. Leur échec a poussé les militaires à s’emparer à nouveau du pouvoir. Depuis le 19 août 2020, ce sont eux qui gouvernent le pays et promettent de le remettre sur les rails.
Selon Amadou Haya, secrétaire général du regroupement politique Djiguiya Koura, les populations n’ont pas été « préparées » à la culture démocratique. « Tant que vous n’avez pas cette culture, il y a toujours cette tendance à revenir à la pensée unique, à recourir à la force», regrette-t-il.
« Les institutions ne jouent pas permanemment leur rôle, de même que les partis politiques qui ont vocation à éduquer les citoyens en matière de civisme», analyse pour sa part, Fousseini Diop, responsable de programmes gouvernance et engagement civique de l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD).
Selon Fousseini Diop, lorsqu’on parle de démocratie aujourd’hui, « on se limite seulement aux élections alors que celles-ci ne sont qu’une partie du jeu démocratique. Les élections sont souvent contestées et l’ensemble des acteurs n’a pas confiance au processus mis en place. »
C’était le cas en 2018 lors de la réélection du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) où l’opposition a dénoncé des fraudes.
Entre le deuxième tour et l’investiture, l’opposition a durci le ton face au pouvoir. Le Chef de file de l’opposition d’alors, Soumaïla Cissé (aujourd’hui décédé), avait déclaré « rejeter catégoriquement » les résultats proclamés par la Cour constitutionnelle et ne pas reconnaître le président élu.
« Les résultats sont le fruit de bourrages d’urnes massif, de mise en circulation sous le manteau de cartes d’électeurs, de trafics de procuration et de votes multiples à grande échelle… », avait-il affirmé.
Crises post-électorales
Des faits similaires ont été à la base, quelques mois plus tard, de la contestation des résultats des élections législatives proclamés par la Cour constitutionnelle. Une crise qui a, par la suite, conduit au renversement du président IBK, après des mois de contestations et de manifestations de rue.
A côté des manquements sur le plan démocratique que lui reprochaient ses adversaires, son régime était aussi caractérisé par une grande corruption dans un pays dont une bonne partie de la population reste frappée par le dénuement (186è sur 191 pays du classement de l’indice de développement humain de 2021 selon l’Onu). De quoi alimenter davantage les frustrations et l’instabilité politique. Une brèche dans laquelle les militaires ont vite fait de s’engouffrer.
Une nouvelle rupture de l’ordre constitutionnel qui peut s’expliquer, selon Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS) par une « crise de confiance » entre les citoyens et les institutions.
« Quand on s’éloigne de la capitale, on se rend compte qu’il y a un décalage profond entre la compréhension de cette démocratie », explique M Dakono qui pense que la perception même de la pratique démocratique est remise en question.
Depuis 1991, le Mali n’a connu qu’une seule passation démocratique de pouvoir entre deux chefs d’Etat élus.
L’ancienne ministre Sy Kadiatou Sow, pense que chaque acteur doit rester à sa place, si l’on veut asseoir la démocratie. «Que chacun reste dans son rôle. Que l’armée soit une armée républicaine mais dont les préoccupations en tant que composante majeure dans la société soient réellement prises en compte et qu’elle soit au service du pouvoir politique », recommande-t-elle.
De l’avis de certains observateurs, le modèle démocratique doit être adapté aux réalités. Pour d’autres, il faut surtout faire en sorte que la démocratie reste vivante au-delà des périodes électorales.
« Une fois les élections passées, nous avons l’impression que tout le monde passe à autre chose. Il faut que la participation à la chose publique soit maintenue et que les acteurs puissent véritablement faire des offres politiques aux citoyens », préconise M. Dakono.
Dans le cadre des réformes en cours depuis le « double putsch », le responsable de programmes gouvernance et engagement civique de l’AJCAD, Fousseini Diop, espère que les jeunes soient placés « au cœur » des différents processus « parce que c’est la couche majoritaire et cela ne fera que renforcer les institutions à jouer pleinement leurs rôles ».
Du côté des autorités de la transition, elles annoncent que, « plusieurs actions prioritaires » ont déjà été réalisées ou sont en cours. Il s’agit entre autres de l’adoption d’une nouvelle loi électorale créant l’Autorité indépendante de gestion des élections, (l’organe unique de gestion des élections), la simplification de la délivrance de la carte d’identité nationale biométrique (elle fera office de carte d’électeurs, ndlr). Autre preuve que la préoccupation reste avant tout les élections et l’occupation des postes. Trop peu pour ancrer la démocratie.
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