Ouestafnews – Un groupe de personnalités de la société civile et du monde universitaire au Sénégal demande « l’ouverture » du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) dans leur pays. Elles souhaitent que d’autres citoyens, en dehors des magistrats, soient représentés dans le CSM.
Au Sénégal, selon la loi en vigueur à la publication de cet article, « le Conseil supérieur de la Magistrature est le conseil de discipline des magistrats » et il statue sur leur nomination. Il est « présidé par le président de la République », qui peut y « exercer le droit de grâce ».
L’entrée au CSM de personnes non issues de la magistrature est une manière de rendre à la justice son indépendance, a argumenté Birahim Seck, coordonnateur du Forum Civil, section sénégalaise de Transparency international.
Le Conseil supérieur de la Magistrature fait l’objet de vifs débats au Sénégal depuis l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités, à leur tête le président Bassirou Diomaye Faye, et l’organisation des Assises de la Justice. Ces concertations ont été tenues du 28 mai au 4 juin 2024 pour étudier de possibles réformes de la justice sénégalaise, qui essuie de vives critiques depuis des années.
Le Conseil supérieur de la Magistrature doit « refléter » les aspirations du peuple au nom duquel la justice est rendue, a renchéri Ibrahima Hamidou Dème, un ancien magistrat. Dème a démissionné du CSM en 2017, et de la magistrature en 2018 en dénonçant son manque d’indépendance. Il s’était ensuite lancé en politique et avait voulu se présenter à l’élection présidentielle de 2019 avant de renoncer à candidature.
Birahim Seck et Ibrahima Hamidou Dème s’exprimaient tous les deux lors d’un panel en ligne organisé le 31 juillet 2024 par un groupe dénommé le Collectif des universitaires pour la démocratie (CDU). Le thème du débat était : « Quelles réformes pour une justice plus performante ? ».
Le coordonnateur du Forum civil a soutenu qu’au cours des trois dernières années, la justice a été « agressée » et « piétinée » au Sénégal.
De mars 2021 à juin 2023, la justice sénégalaise a subi de vives pressions, dans un contexte de violences et de vives tensions politiques, à la suite d’affaires politico-judiciaires impliquant Ousmane Sonko, ancien opposant aujourd’hui Premier ministre. Sonko accusait la justice d’être instrumentalisée pour l’écarter de la présidentielle de 2024.
Aujourd’hui, selon l’ancien juge Ibrahima Hamidou Dème, il faut que les citoyens aient confiance en la justice. Mais, pour y arriver, il faut « l’ouverture », a plaidé Patrice Badji, professeur de droit, de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar.
Cette position était déjà contenue dans le rapport final des Assises de la Justice, affirmant que « l’indépendance de la justice serait moins contestée par les citoyens lorsqu’ils constateront que le CSM est une instance plurielle et diverse dans sa composition ».
Toutefois, les magistrats avaient déjà exprimé leur opposition à cette ouverture du Conseil supérieur de la Magistrature à des non-magistrats.
Les personnes nommées, qui ne sont pas magistrats, peuvent être étrangères aux « impératifs éthiques et professionnels des magistrats », avait défendu en mai 2024 l’Union des magistrats sénégalais (UMS) dans une déclaration.
Selon l’UMS, cela risque également de créer une composition déséquilibrée.
L’association des magistrats avait fait remarquer que la présence de tiers n’était pas de nature à asseoir l’autorité judiciaire ou à renforcer le lien de confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire.
Dans sa composition actuelle, outre le chef de l’État qui le préside, le CSM compte parmi ses membres le ministre de la Justice (vice-président du Conseil) ainsi que des magistrats, dont les présidents des plus importantes juridictions (Cour suprême, Cour d’appel).
Face à ce corporatisme des magistrats, Birahim Seck, de la section sénégalaise de Transparency international, a rappelé que les magistrats eux-mêmes siègent « dans d’autres institutions publiques et gèrent également la carrière des autres fonctionnaires ».
« Ce qui importe, c’est le respect de la demande citoyenne », a souligné Thiaba Camara Sy, présidente de « Demain Sénégal », une organisation de la société civile sénégalaise regroupant notamment des universitaires et des économistes. Pour Mme Sy, il faut « une libération totale (de la justice) de l’influence de l’exécutif, plutôt qu’une ouverture du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) à d’autres citoyens ». Elle plaide pour la création en parallèle du CSM, d’un Haut conseil de la justice qui inclurait une diversité d’acteurs et d’usagers issus de différents domaines pour contribuer « à renforcer l’indépendance et la transparence du système judiciaire ».
En 2015 déjà, Ibrahima Hamidou Dème, alors magistrat en activité, préconisait « l’intégration » dans le CSM « de parlementaires et de personnalités qualifiées, mais, surtout, de personnalités provenant d’organisations suffisamment représentatives des grandes tendances du corps social ».
« Au passage, le pouvoir judiciaire pourra tirer du contrôle permanent de ces représentants du peuple, au nom duquel il rend la justice, une légitimité populaire qu’on lui reproche (…) », avait soutenu le juge Dème dans un texte intitulé « Conseil supérieur de la Magistrature : l’indispensable réforme », publié en août 2015.
Prenant part au débat organisé par le Collectif des universitaires pour la démocratie, Seydi Omar Niang, un étudiant en droit, a estimé que la magistrature doit être ouverte si l’on veut avoir « une justice performante ».
ON/ts
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