Ouestafnews (Accra) – Le Ghana a imposé à ses citoyens un système d’identification biométrique à travers la Ghana card. Cette carte est devenue incontournable dans la vie quotidienne des Ghanéens comme carte d’identification nationale unique. Les promoteurs s’en félicitent, les citoyens pointent du doigt les couacs.
« Ghana card ». C’est la trouvaille technologique des autorités ghanéennes pour centraliser sur une puce unique les données propres à chaque citoyen. Elle est devenue la carte d’identité numérique de chaque Ghanéen, la puce qui permet toutes transactions nécessaires dans la vie de chacun.
« La Ghana card me permet d’avoir ma carte d’électeur, de faire mes services bancaires », entre autres, explique à Ouestaf News, Shine Esi Kwawukumey, 35 ans, employée d’une structure événementielle rencontrée au World Trade Center d’Accra, gigantesque bâtiment moderne du centre-ville habitué à recevoir de grands événements.
C’était en marge des sessions de la conférence organisée par la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA, en anglais) en novembre 2023. Aujourd’hui, cette carte biométrique est « le seul » document d’identité reconnu dans le pays, ajoute-t-elle.
Le gouvernement ghanéen mise sur la Ghana card pour en faire un support d’identification permettant de faciliter la mise en œuvre des politiques de développement socio-économique du pays, selon le directeur exécutif de l’Autorité nationale d’identification du Ghana (NIA, en anglais), Pr Kenneth Agyemeng Attafuah. Créée depuis 2003, la NIA est l’institution chargée de la confection et la distribution de la Ghana Card. Elle a également en charge le système national d’identification (NIS).
Mais c’est seulement en 2008 qu’elle a été autorisée à collecter les données personnelles et biométriques des Ghanéens. Une mission adossée à un impératif sacro-saint : « garantir la protection de la vie privée et des informations personnelles des inscrits et candidats » à une élection, selon la loi (750) de 2008 sur le registre national d’identité, consultée par Ouestaf News.
Sans Ghana Card, pas de transactions
La NIA ne se limite pas à centraliser les données de toutes les personnes vivant au Ghana. A cet égard, le Pr Kenneth Agyemeng Attafuah se félicite que « 17 transactions soient impossibles à effectuer sur l’étendue du territoire national sans la Ghana card ». Ce sont, entre autres, le paiement des impôts, l’obtention d’une carte Sim pour le téléphone portable, la carte d’électeur, l’accès aux banques.
Le Pr Attafuah s’exprimait lors d’une visite organisée dans les locaux de la NIA à Accra à l’intention d’une vingtaine de journalistes ouest-africains, dont un reporter d’Ouestaf News. Ces reporters sont tous boursiers de la MFWA et de Co-develop, dans le cadre d’un programme sur les infrastructures publiques numériques (IPN). Co-develop est un fonds mondial visant à construire des infrastructures digitales.
Le lien systématique établi entre la possession de la Ghana card et la réalisation de certaines transactions a permis une forte augmentation du nombre de personnes et d’entreprises qui font leurs déclarations d’impôts : de 4 à 16 millions entre 2017 et 2023, selon des chiffres de l’Autorité nationale d’identification du Ghana.
Selon Mary Addah, directrice exécutive de Ghana Integrity Initiative, le système Ghana card, en tant que « bonne procédure d’identification » biométrique, peut permettre de mieux lutter contre la corruption.
Même si la trouvaille est bien accueillie, l’accès à la Ghana Card n’est pas facile pour certains citoyens.
A l’autre bout de la capitale, Ogbojo, une localité située dans le Grand Accra, Ramla Sika Ibrahim est dans tous ses états. Ouestaf News a rencontré cette caissière de 21 ans dans un bar-restaurant sur Boundary Road. Depuis 2021, elle n’arrive pas à récupérer sa Ghana card.
« Ma carte Sim est bloquée parce que je n’ai pas la Ghana card », regrette la jeune femme, tout en expliquant qu’elle avait eu la Sim grâce à sa carte d’assurance.
Alors âgée de 19 ans, Ramla s’était faite enrôler par une équipe mobile de la NIA après avoir procédé à toutes les formalités d’enregistrement comme la prise d’empreinte digitale, la photographie de l’iris, etc.
« Les agents de la NIA m’avaient dit de revenir la semaine suivant mon inscription. Je l’ai fait mais rien depuis cette date », déplore-t-elle.
Blaise Wotanenyo est un jeune togolais de 28 ans qui réside au Ghana depuis plus de cinq ans. Après son enrôlement en 2022, toujours pas de Ghana card à placer dans son porte-documents. Il lui est donc impossible d’effectuer une quelconque transaction. Pour lui, c’est à cause « des retards et de l’argent » que de nombreux étrangers n’ont pas la Ghana Card.
Pour les cas de retard, « il se pourrait qu’il y ait des erreurs au niveau du nom ou de la date de naissance » lors de l’enrôlement, explique la chargée des affaires extérieures de la NIA, Dora Badu Acheampong. Le système de Ghana card est sans pitié : à chaque « erreur » où à chaque tentative de s’enregistrer deux fois par exemple, l’identification rejette automatiquement l’enregistrement.
Durant l’année en cours, Acheampong souligne que « 200 Ghanéens ont tenté de s’enregistrer plus de deux fois ».
L’équation des cartes d’électeurs
La jeune caissière, Ramla Sika Ibrahim ne peut pas voter en l’absence de sa carte d’électeur. Pourtant, ajoute-t-elle, « j’ai toujours mon récépissé d’inscription de la Ghana card ».
Au regard du lien de la Ghana card avec le système électoral national, ces dysfonctionnements interpellent une partie de la classe politique. Selon le chef de la majorité parlementaire, Osei Kyei-Mensah Bonsu, s’appuyer uniquement sur la Ghana card pour l’inscription des électeurs est prématuré. « Cela va créer des problèmes », disait-il début novembre 2023 cité par le site web du media The Graphic.
En mars 2023, c’est Jean Mensah, président de la Commission électorale nationale (CE), qui avait proposé l’utilisation de la Ghana card comme unique document d’inscription des électeurs pour les élections générales prévues en 2024. Cette décision avait été « critiquée » lors des élections de district « en raison de l’exclusion des électeurs éligibles qui n’ont pas de carte », rappelle Osei Kyei-Mensah Bonsu.
Si l’acquisition de la Ghana card est gratuite pour les Ghanéens, elle ne l’est pas pour les étrangers vivant au Ghana.
Concernant les résidents étrangers au Ghana, ils doivent « verser une somme d’argent déterminée pour avoir la Ghana card », précise le directeur exécutif de la NIA, Pr Kenneth Agyemeng Attafuah, sans mentionner le montant.
Pour la diaspora ghanéenne en Afrique de l’ouest, la Ghana card est délivrée au prix de 20 dollars, soit 12.000 FCFA. Pour les étrangers vivant au Ghana, y compris les ressortissants ouest africains, elle est délivrée contre paiement de 120 dollars, soit 70.000 FCFA. La carte est valable un an et renouvelable au prix de 60 dollars, soit 36.000 FCFA, indique le Service d’assistance aux étrangers du Ghana sur son site internet, consulté par Ouestaf News. La même source précise que la carte délivrée aux étrangers « ne remplace ni le permis de travail ni le permis de séjour ».
Malgré tout, l’Autorité nationale d’identification rapporte avoir enregistré à la date du 20 octobre 2023, 17.562.416 inscriptions pour la Ghana card, dont 16.617.239 délivrées sur une population estimée à 34 millions en 2023, selon les chiffres de l’institution.
ON/fd/md
Ce reportage est réalisé dans le cadre de la bourse de journalisme sur les Infrastructures publiques numériques (IPN) organisée par la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA,anglais) et Co-Develop
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