Ouestafnews – À Conakry, depuis fin 2023, pas une semaine ne passe sans qu’une habitation, un bureau ou un bâtiment officiel ne soit ravagé par des flammes. Ce phénomène devenu récurrent inquiète en Guinée, alors que la Protection civile, en charge de la prévention des incendies dans le pays, semble être dans le coma. Zoom sur un service de l’État qui manque pratiquement de tout.
En juin 2024, dix membres d’une famille périssent dans l’incendie de leur maison à Samatran (nouvelle commune de Kagbélen), en banlieue de Conakry. À la même période, le feu détruisait une partie du marché d’Enco5, une nouvelle commune de Lambanyi, dans la banlieue de la capitale. Même s’il n’y a pas eu de mort dans celui-ci, les dégâts matériels ont été jugés importants.
Auparavant, dans la nuit du 18 décembre 2023, l’explosion du principal dépôt pétrolier de la Guinée, situé à Kaloum (Conakry), avait provoqué la mort de 24 personnes, selon le dernier bilan officiel. Six jours ont été nécessaires pour venir à bout des flammes puissantes et tentaculaires.
Si elle n’est pas responsable directe de ces drames, la Protection civile est souvent pointée du doigt pour son manque de réactivité. À Kaloum, elle était débordée. C’est avec l’aide de pays voisins, dont le Sénégal, que les flammes ont été maîtrisées. À Enco5 et Samatran, ce sont des citoyens qui ont dû se débrouiller avec des seaux d’eau pendant des heures pour sauver ce qui pouvait l’être.
Déficiente en personnel d’intervention, la Protection civile l’est aussi en termes de matériels. Ses équipements sont rarement renouvelés. À ce jour, les unités d’intervention ne disposent pratiquement de rien.
Selon l’Annuaire statistique de la Police et de la Protection civile 2019 qu’Ouestaf News a consulté, les sapeurs-pompiers, qui constituent un maillon important du dispositif d’intervention de la Protection civile, n’ont reçu que deux motos en 2017.
La même source indique que c’est en 2018 que les services impliqués dans les interventions ont été relativement mieux appuyés en matériels. Le document note l’acquisition de dix-sept véhicules, dont cinq ambulances-sécurité et cinq camions d’incendie, quarante-trois ordinateurs, neuf brancards pliants, douze cordes de sauvetage, un extincteur, un fourgon-pompe, cinq paires de gants de protection, quinze lances à eau, onze poulies de sauvetage et dix-neuf tenues de protection. Une bouffée d’oxygène qui a permis aux services de faire face à 576 cas d’incendies en 2018.
En juin 2024, soit six ans après cette dotation, difficile de trouver un engin en état dans la cour des trois centres d’intervention et de secours (CIS) de Conakry. Au CIS de Matoto, censé gérer toutes les catastrophes qui surviennent dans l’une des plus grandes communes de la capitale, la vétusté des installations saute aux yeux.
Le reporter d’Ouestaf News qui s’est rendu dans les locaux a constaté la présence de quelques agents, preuve que les lieux sont encore occupés par les services. Les murs de la grande bâtisse ont perdu leur éclat d’antan. Les couches de peinture se sont effritées sous l’effet de l’érosion du temps et du manque d’entretien.
Dans la cour de l’établissement, les véhicules et autres engins semblent ne servir qu’à meubler le décor. Leur état renseigne qu’ils sont hors d’usage depuis belle lurette. Les deux petits camions dédiés aux secours sont en panne, l’ambulance aussi. Les pneus des véhicules, pour ceux qui en disposent encore, sont dégonflés, parfois avec les flancs fissurés. « Ils ne sont pas sortis de ce service depuis le début de l’année 2024 », témoigne un agent du centre ayant requis l’anonymat. Il renchérit : « Nous n’avons aucun équipement fonctionnel. Nos engins ne peuvent plus intervenir sur un théâtre d’incendie. Notre camion ne peut même plus bouger ».
Notre interlocuteur accuse l’État de léser volontairement la Protection civile. « On dit à nos responsables que notre service ne fait pas entrer d’argent dans les caisses de l’État. Et celui qui ose dire le contraire est immédiatement puni. Le perdant, c’est le Guinéen », se désole cet agent du centre.
Ignorée dans le budget
La Protection civile de Guinée est un démembrement du ministère de la Sécurité. Un département dont le budget s’élève en 2024, selon la Loi de finances (LFI) rectificative (LFI), à plus de 737 milliards de francs guinéens, soit un peu plus de 50,2 milliards de francs CFA (FCFA). Dans ce budget alloué au ministère, seule une ligne de 50 millions de francs guinéens, soit un peu plus de 3,4 millions de FCFA, est dédiée à la protection civile.
Selon de rares statistiques disponibles au ministère de la Sécurité, en 2018, la Protection civile guinéenne comptait 654 agents, dont 56 affectés à la direction générale, loin des unités d’interventions. Pour les sapeurs-pompiers, ils ne sont que 598 agents pour plus de 13 millions de Guinéens.
Le manque de moyens des services de la Protection civile explique la qualité de leurs prestations.
« À Enco5, nous avons alerté la Protection civile moins de cinq minutes après le début de l’incendie. S’ils étaient venus, les dégâts pouvaient être minimisés », explique Ousmane Barry, témoin du drame survenu dans ce quartier à la mi-2024. Mohamed Keïta, porte-parole du Collectif des victimes de l’incendie d’Enco5, enfonce le clou : « Quand j’ai alerté les sapeurs-pompiers vers 22 h 00, ils m’ont dit qu’ils étaient déjà en route. Mais, à 3 h 00 du matin, quand on maîtrisait le feu, nous ne les avons pas vus ».
Lors de cet incendie, dix-huit conteneurs, quatorze boutiques, huit étals et leurs contenus sont partis en fumée. Une enquête a été ouverte par la police et les services du ministère du Commerce. Enquête dont les résultats étaient toujours attendus à la mise en ligne de cet article.
Ouestaf News a tenté de joindre la direction générale de la Protection civile pour en savoir davantage sur les retards et/ou l’absence de son service sur les lieux d’incendies. En vain. Les différents services contactés par notre reporter estiment que cette question ne peut être abordée sur la place publique. Il a été même impossible d’obtenir des statistiques officielles sur les cas d’incendies pour l’année 2024.
Cinq camions d’incendie pour Conakry
Toutefois, à la direction du Service Incendie, un démembrement de la Direction générale de la Protection civile, Bintou Sylla, assistante du directeur, a accepté de parler à Ouestaf News. Selon elle, la moyenne des incendies sur les quatre dernières années se situe entre 270 et 400. L’essentiel de ces drames, qui surviennent dans le Grand-Conakry est causé, toujours selon Bintou Sylla, par des courts-circuits. Et dans la plupart des cas, ce sont des sociétés privées qui viennent à la rescousse des autorités publiques. Faute de moyens au sein de ses services, la Protection civile se rabat sur les sociétés privées.
Le centres d’intervention et de secours de Kaloum est le plus grand du pays. Il couvre en théorie les communes de Kassa, Dixinn, Matam ainsi que Kaloum, centre administratif de Conakry. Ensemble, ces communes polarisent plus de 1,2 million de personnes, selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat effectué en 2014 en Guinée.
Le commandant de l’unité de Kaloum, Souleymane Camara, qui a quitté entre-temps ce poste, indique que sa structure ne dispose que d’un seul camion. Un vieil engin de premier secours destiné à circonscrire un feu. Mais pas d’ambulance : « Quand il y a deux incendies en même temps dans des lieux différents, nous faisons le choix d’intervenir ici et pas là-bas ».
En septembre 2023, l’ex-Premier ministre Bernard Goumou, le patron du Conseil national de la transition (CNT) Dansa Kourouma et le ministre de la Sécurité et de la Protection civile Bachir Diallo ont posé la première pierre de la construction de la caserne moderne du centre. Les travaux n’ont pas encore démarré.
La situation n’est pas meilleure au centre d’intervention et de secours de Ratoma, le troisième CIS de la capitale. Selon un employé dudit centre, Conakry, avec ses trois millions d’habitants, ne dispose que de cinq camions d’incendie, tous du matériel de premiers secours. La même source ajoute : « Nous faisons avec ce que nous avons sous la main ».
Le colonel des sapeurs-pompiers à la retraite Djibril Kaké résume la situation de la Protection civile en deux mots : incompétence et manque de ressources financières.
Pour changer le visage du secteur, cet officier retraité suggère le changement du mode de recrutement, en confiant cette tâche à une structure indépendante. Il propose aussi de sortir la Protection civile de la tutelle du ministère de la Sécurité : « Si elle est autonome, ses responsables peuvent aller chercher les financements ailleurs. Mais dans les conditions actuelles, rien ne va changer, parce que ce n’est pas la priorité des autorités ».
Face à la crise, le 5 octobre 2024, le gouvernement a annoncé la signature avec la banque mondiale d’un accord de financement de 50 millions de dollars américains (plus de 427,6 milliards de francs guinéens, soit plus de 31,2 milliards de FCFA) pour l’acquisition d’équipements pour la protection civile guinéenne.
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