Ouestafnews – Faut-il maintenir ou non le chef de l’État au sein du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) du Sénégal ? Un mois après avoir reçu les conclusions de concertations sur la réforme de la Justice, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye n’a toujours pas donné une position tranchée sur cette question, qui suscite un débat dans le pays.
Acteurs de la justice, universitaires, politiques et militants de la société civile expriment des avis partagés sur ce sujet, qui a été au centre d’un panel en ligne organisé par le Collectif des universitaires pour la démocratie (CUD) le 31 juillet 2024, a constaté Ouestaf News.
Environ deux semaines auparavant, Bassirou Diomaye Faye était encore indécis quant aux liens à établir entre le président de la République, qu’il est depuis le 2 avril 2024, et le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), qu’il préside selon la loi actuellement en vigueur.
Sortir de cette structure, qui est notamment « le conseil de discipline des magistrats » et qui statue sur leur nomination, ou y rester, pour perpétuer la tradition ? Le président Faye n’avait pas non plus donné de réponse tranchée le 13 juillet 2024, lors d’un entretien avec des journalistes de la presse sénégalaise.
Parmi ceux qui se sont exprimés sur la question lors du panel organisé le 31 juillet 2024 à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar et diffusé en ligne, figure Birahim Seck, coordonnateur général du Forum civil, la section sénégalaise de Transparency International. Face à ce qu’il appelle « l’indécision » présidentielle, Seck rappelle que « les Sénégalais ont soif de refondation » en ce qui concerne le système judiciaire.
Institué par la Constitution sénégalaise du 26 août 1960, le Conseil supérieur de la Magistrature a pour vice-président le ministre de la Justice, qui seconde le président. Ses autres membres sont le premier président de la Cour suprême et le procureur général près ladite Cour. Le Conseil accueille également quatre autres juges élus par leurs pairs pour un mandat de trois ans renouvelable une fois.
Auparavant, aucun consensus n’avait pu être obtenu sur la composition du CSM lors des Assises la Justice, tenues de fin mai à début juin 2024, sur initiative du président Faye.
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Avant son arrivée au pouvoir, Bassirou Diomaye Faye s’était engagé durant sa campagne pour l’élection présidentielle à quitter le CSM afin de mieux assurer le principe de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. C’était dans le contexte d’une répression subie par des activistes et opposants politiques durant la présidence de son prédécesseur, Macky Sall, qui a dirigé le Sénégal de 2012 à 2024.
Alors dans l’opposition, Ousmane Sonko – qui a été nommé Premier ministre par le président Faye – n’avait cessé d’accuser une frange de la magistrature d’exécuter des « commandes politiques » au profit du régime de Macky Sall. D’où la promesse de toiletter un secteur au centre de critiques et controverses au sein de la société civile.
« Chaque [réunion] du Conseil supérieur de la Magistrature se tient avec son lot de complots, de règlement des comptes, d’exclusion de magistrats qui n’ont commis aucune faute, et de promotion de béni-oui-oui du régime », avait déclaré en tant qu’opposant Ousmane Sonko lors d’un point de presse le 24 novembre 2021, cité notamment par le journal Le Quotidien (privé) sur son site.
« Cela va continuer tant que le président de la République et son ministre de la Justice vont siéger au Conseil supérieur de la Magistrature », avait ajouté Sonko, chef du parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).
Les participants aux Assises de la Justice ont bien noté « qu’il est privilégié que le président de la République sorte du Conseil supérieur de la Magistrature », selon Birahim Seck du Forum civil, qui était le rapporteur de la sous-commission « Organisation et fonctionnement de la Justice » lors de ces concertations.
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Cette position est relativement différente de celle exprimée par le président Bassirou Diomaye Faye. En recevant les conclusions des travaux des Assises de la Justice, le 3 juillet 2024, il avait déclaré que sa présence ou non dans le Conseil n’était pas « une obsession » pour lui. Il avait surtout brandi le souhait et les arguments de certains magistrats lui demandant de demeurer au CSM.
Ce ni oui ni non du président ne correspond pas aux positions exprimées par lui et son parti quand ils étaient dans l’opposition.
Pour Patrice Badji, professeur agrégé de droit, c’est un « non catégorique » qui doit être décerné à un éventuel maintien du président dans le Conseil supérieur de la Magistrature. Selon Pr Badji, la justice est une institution indépendante du pouvoir exécutif et législatif et, à ce titre, le chef de l’État ne doit pas siéger dans le Conseil.
La présence ou non du président de la République dans le CSM n’est pas nécessairement « fondamentale », estime Ibrahima Hamidou Dème, juge ayant démissionné de la magistrature au Sénégal en 2017. Pour lui, si le chef de l’État doit rester dans le Conseil en vertu de son rôle de garant du fonctionnement régulier des institutions, sa présence doit demeurer « symbolique », pour éviter qu’il puisse influencer la carrière des magistrats.
Cependant, poursuit Dème, le président Bassirou Diomaye Faye doit respecter ses promesses de campagne, dont celle consistant à sortir du CSM. Un avis partagé par Birahim Seck du Forum civil.
Alors que le débat reste entier au Sénégal, ailleurs en Afrique de l’Ouest, certains pays ont vu leur président de la République quitter leur Conseil supérieur de la Magistrature. C’est notamment le cas du Burkina Faso, où un Pacte national sur le renouveau de la Justice, adopté en 2015, a décrété la sortie du pouvoir exécutif du CSM. Auparavant, le chef de l’État burkinabè y jouait un rôle majeur, en particulier dans la gestion de la carrière des magistrats.
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Fortement réclamée au Sénégal, la mutation du CSM ne saurait cependant être une solution miracle pour garantir une totale indépendance des magistrats vis-à-vis du puissant pouvoir exécutif, d’après des participants au panel des universitaires sénégalais.
La liberté des juges est souvent « une question d’hommes », de comportement et de valeurs, estime ainsi Zeinab Kane, enseignante chercheure en droit public à l’Université Alioune Diop de Bambey (centre du Sénégal). Pour elle, le droit ne peut être « déconnecté de la morale et de l’éthique ».
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