Ouestafnews – La classe politique guinéenne est en colère depuis les mesures draconiennes contre plusieurs dizaines de partis politiques. La junte militaire est soupçonnée, à travers ces décisions, de vouloir liquider un personnel politique contestataire pour faire émerger un autre plus accommodant avec les desseins du général Mamadi Doumbouya.
Une nouvelle classe de politiques serait-elle en gestation en Guinée ? A cette question, l’analyste politique guinéen Moussa Samoura répond : à tout le moins, il y a une tentative de « redéfinition de la classe politique ». Les mesures prises par les militaires au pouvoir contre les partis visent « un changement générationnel » de la scène politique dans le pays, explique-t-il dans un entretien avec Ouestaf News.
Selon le politologue, cette tendance parait d’autant plus plausible que la plupart des ténors des partis politiques sont « soit en exil politique, ou ont maille à partir avec la justice ou sont emprisonnés ».
Le 29 octobre 2024, les citoyens guinéens apprennent avec stupeur que 53 partis politiques sont dissous, 54 suspendus pour trois mois et, pour la même période, 67 sont mis sous observation. Ce sont là, les résultats d’un rapport sur l’« Evaluation des partis politiques » ordonnée par le général Mamadi Doumbouya, chef de la junte militaire au pouvoir depuis le 5 septembre 2021, suite au coup d’Etat contre l’ancien président Alpha Condé.
Sur un total de 211 formations politiques, 37 n’ont pas été évaluées. Ces partis « feront l’objet d’une nouvelle programmation de rencontres avec les enquêteurs du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), afin de recueillir leurs pièces justificatives », indique le document.
A en croire les autorités guinéennes, l’objectif affirmé de la mission d’évaluation effectuée du 17 juin au 30 septembre 2024 est de « nettoyer l’échiquier politique » avant la fin officielle de la transition militaire, initialement prévue pour fin 2024. Mais en septembre 2024, le pouvoir en place avait annoncé le changement de délai et la tenue de toutes les élections en 2025.
Selon le MATD qui a publié ledit rapport, ces mesures sont motivées par les « manquements » relevés dans la gouvernance des partis politiques par rapport aux lois en vigueur, en particulier en termes de transparence.
Selon le rapport, la majorité des formations dissoutes ou suspendues manquent de comptes bancaires, d’agrément valide ; ne communiquent pas leurs sources de financement ni la liste des membres de l’organe de direction, et n’assurent pas une gestion comptable régulière.
Parmi les partis placés sous surveillance, on retrouve l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de l’ancien premier ministre en exil Cellou Dalein Diallo, et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) de l’ex président Alpha Condé.
Historiquement lié à Ahmed Sékou Touré, premier président du pays, le Parti démocratique de Guinée – Rassemblement démocratique africain (PDG-RDA), a été suspendu pour trois mois.
L’ « évaluation » permet de garantir que les partis politiques sont « pleinement en conformité (avec les) dispositions de la Charte des partis politiques, tout en contribuant à la stabilité de l’Etat, (…) », explique El hadj Ibrahima Kalil Condé, ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, cité par le rapport.
Dans un entretien avec Ouestaf News, le secrétaire général par intérim du Parti démocratique de Guinée (PDG-RDA), Oyé Beavogui, reconnait que la scène politique guinéenne compte « un nombre pléthorique de partis politiques qui ne remplissaient aucunement les critères d’existence ». Sa formation politique fait partie des « suspendues ».
Cet avis est partagé par le parti Force des Intègres pour la Démocratie et la Liberté (Fidel). Selon son secrétaire en charge de l’information et de la communication, Lamine Kaba, cette évaluation de la classe politique guinéenne est « noble en raison des objectifs d’assainissement de l’espace politique ».
M. Kaba dont le parti est mis sous observation pendant trois mois, soutient que les partis politiques ne peuvent pas prétendre conquérir le pouvoir politique « en restant allergique aux contrôles administratifs ».
Cependant, d’autres acteurs s’inquiètent concernant le moment choisi et l’objectif réel derrière ces décisions du pouvoir militaire.
Il faut s’interroger sur le timing en lien avec la présentation du rapport final, estime quant à lui Fodé Baldé, membre de la cellule de communication l’Union des Forces Républicaines (UFR). Il juge la démarche des autorités « intrigante ». Son parti a été « mis sous observation » pour trois mois.
Il note que cette période de suspension va au-delà de la date de fin de la transition en Guinée, prévue le 31 décembre 2024, conformément aux engagements pris par la junte militaire auprès de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Pour lui, placer des partis politiques sous observation pour trois mois est « une manœuvre subtile » pour écarter ceux d’entre eux qui sont « membres des Forces vives (et) qui sont les seuls en réalité à exiger le retour à l’ordre constitutionnel contre tout glissement du calendrier », explique-t-il à Ouestaf News.
Les « Forces vives de Guinée » est une coalition de plusieurs entités politiques et civiles, dont le Rassemblement du peuple de Guinée-Arc en ciel (RPG-AEC), l’Alliance nationale pour l’alternance et la démocratie (ANAD), le Forum des forces sociales de Guinée (FFSG), et le Front National de défense de la Constitution (FNDC).
L’évaluation des autorités, déplore Fodé Baldé, vient illustrer une dynamique de « politique politicienne (…) dangereuse pour la stabilité du pays ».
Aux yeux de l’analyste politique Moussa Samoura, « si cette évaluation est faite pour éliminer des adversaires politiques, elle vient biaiser le système démocratique ».
Même s’il salue la démarche des autorités guinéennes visant à assainir le paysage politique, le chercheur à l’université Général Lansana Conté de Somfonia, retient que certains leaders politiques ont déploré n’avoir pas été associés à cette évaluation. Si tel est le cas, dit-il, « c’est une violation » des principes démocratiques comme « la transparence, la crédibilité, mais également l’inclusivité ».
Oyé Beavogui du PDG-RDA, quant à lui, estime que le travail effectué par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation souffre d’une certaine « insuffisance qui doit être corrigée progressivement », sans préciser ces manquements.
Le ministre Elhadj Ibrahima Kalil Condé, cité dans le rapport, affirme que l’évaluation a été « réalisée avec un souci constant de transparence et d’équité ». Selon le document, « la mission d’évaluation s’est déroulée (…) dans les sièges nationaux des partis politiques ainsi que dans leurs implantations sur toute l’étendue du territoire national ».
Quel recours pour les partis ?
Si l’objectif de cette évaluation « n’est pas d’assainir la scène politique mais d’éliminer les adversaires potentiels », les partis ont la possibilité de recourir à la justice dans l’espoir d’obtenir gain de cause, préconise le politologue Moussa Samoura.
« Les partis politiques n’ont pas le choix, c’est leur survie qui est ici mise à l’épreuve », alerte Fodé Baldé. Il est « impératif de se mobiliser pour revendiquer cet acquis de notre marche vers la démocratie effective, le multipartisme ».
Moussa Samoura se montre sceptique quant à l’efficacité du recours à des manifestations publiques car « les militaires sont capables de museler tout mouvement dissonant ».
Tout ceci intervient à l’approche attendue de la fin de la transition militaire. D’où le doute et le scepticisme qui se sont emparés d’une bonne partie de la classe politique. Seul l’avenir dira si leurs craintes sont fondées ou si la Guinée s’en sortira avec un paysage politique « assaini » et mieux structuré.
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