Ouestafnews – Après des mois de tensions entre le gouvernement guinéen et les médias privés, la Haute Autorité de Communication (HAC) a annoncé la disponibilité d’une subvention pour soutenir la presse. Mais des associations de presse estiment que cette subvention n’aura un sens que lorsque les autorités auront créé des conditions favorables à la liberté d’expression pour restaurer la confiance.
Cette subvention à la presse privée annoncée par les autorités guinéennes n’est « aucunement liée à la situation qui prévaut entre les médias et les pouvoirs publics actuels » dans le pays, indique l’ancien président de l’Association guinéenne des éditeurs de la presse indépendante (Agepi), Alpha Abdoulaye Diallo, dans un entretien accordé à Ouestaf News.
Selon le journaliste, cette subvention ne suffira pas à dissiper les menaces qui pèsent sur les médias dont « les licences et agréments ont été retirés par l’administration » du président Mamadi Doumbouya.
La Guinée est sous un régime militaire dirigé par Mamadi Doumbouya depuis le 5 septembre 2021, à la suite d’un putsch contre l’ancien président Alpha Condé.
L’avènement de ce régime militaire a entrainé une intensification des tensions entre le pouvoir et des médias privés, se traduisant par des restrictions d’accès à Internet et le retrait d’agréments à certaines radios et télévisions. Dans le classement 2024 de Reporters sans frontières (RSF), la Guinée a enregistré un bond de sept places passant de la 85è à la 78è place. L’ONG note, toutefois, que l’indicateur politique est celui qui a le plus chuté avec 7,6 points.
Le président de l’Agepi souligne aussi que cette subvention ne doit pas être interprétée comme une « tentative de corruption » ou d’achat du silence, mais plutôt comme une aide annuelle accordée à la presse guinéenne depuis des décennies.
C’est une loi qui « accorde cette subvention » à la presse privée guinéenne, précise l’ancien président de l’Union des radios et télévisions libres de Guinée (Urtelgui), Sanou Kerfalla Cissé, dans un entretien accordé à Ouestaf News.
La subvention à la presse privée est encadrée par une loi du 3 juillet 2024 portant attribution, composition, organisation et fonctionnement de la HAC en Guinée. Le texte stipule que « les médias privés bénéficient d’une subvention annuelle de l’Etat. Celle-ci est inscrite au budget de la HAC ». Elle est répartie par le régulateur en collaboration avec les organisations professionnelles des médias, précise la loi.
L’annonce de la disponibilité de la subvention de 3,3 milliards de francs guinéens (GNF), soit un peu plus de 200 millions de FCFA, pour l’année 2024 intervient à un moment difficile pour les médias guinéens.
En janvier 2024, neuf journalistes avaient été arrêtés à Conakry lors d’une manifestation contre la restriction de certains médias et de l’Internet en Guinée. Quatre mois après, l’Autorité de régulation des postes et télécommunication (ARPT) avait ordonné le retrait des agréments d’exploitation des médias privés Djoma TV, Djoma FM, Espace FM, Espace TV, Sweet FM et FIM FM.
Dans un communiqué publié le 24 mai 2024, le gouvernement justifiait cette mesure par le fait que « certains médias manquent à leurs responsabilités, en enfreignant des lois sur la liberté de la presse, la HAC et le code de bonne conduite des journalistes ».
Suite à ces sanctions en série, le directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF, Sadibou Marong, avait déclaré, fin juin 2024, lors d’une manifestation devant l’ambassade de la Guinée au Sénégal, qu’« il est inadmissible que six médias soient censurés, que près de 1.000 professionnels se retrouvent sans travail du jour au lendemain ».
Dans ce contexte de tension, l’annonce de cette subvention peut être perçue comme un signe de dégel de la part du gouvernement. Pour les acteurs de la presse et les militants de la liberté d’expression, l’annonce ne suffira pas à rétablir la confiance entre le gouvernement et la presse.
Le patron du groupe de presse Afric Vision, diffuseur de la radio Sabari FM, Galaxy FM et TV, Sanou Kerfalla Cissé, indique que des discussions sont en cours pour « une réhabilitation des médias » dont les agréments avaient été retirés, dans le but d’apaiser la tension entre médias privés et autorités de la transition.
Le chargé de communication de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), Alseny Sall, estime que cette subvention n’est pas « une priorité » pour les médias. Il estime que son attribution intervient dans un contexte où plusieurs organes de presse sont encore sous le coup de sanctions, avec des journalistes au chômage technique.
« Le plus important aujourd’hui est de créer des conditions pour un meilleur exercice de la liberté d’expression », explique-t-il à Ouestaf News. Car, selon Alseny Sall, il y a un « musèlement » de la presse privée qui se traduit par le retrait des agréments de médias « très influents », en violation des engagements internationaux en matière des droits humains.
Avec cette annonce, les deux parties ont « compris » que l’exercice des droits « se fait avec le devoir de responsabilité tant personnelle que collective », estime l’ancien président de l’Agepi, Alpha Abdoulaye Diallo.
Pour le chargé de communication de l’OGDH, Alseny Sall, la subvention n’aura du sens que lorsque les autorités guinéennes rétabliront les agréments des médias.
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